Virginie Dedieu : « Recevoir la Légion d’honneur, ça surprend encore plus qu’une médaille d’or. »

04 mai, 2024 / Jerome Goulon

Une carrière sportive hors norme. Si cela n’avait pas été de la natation synchronisée mais du football, peut être que Virginie Dedieu serait une des plus grandes stars du sport français. Championne de France à 40 reprises, 5 titres de championne d’Europe, 3 fois championne du monde d’affilée et médaillée de bronze olympique aux JO de Sydney… Nous avons pu rencontrer cette femme d’affaires, architecte d’intérieur, ingénieure, chorégraphe, graphiste, metteur en scène, conférencière, mère de famille et aussi consultante pour France Télévisions cet été lors des Jeux olympiques ! Rencontre avec une personnalité unique du sport français…

Thibaud Vézirian : Bonjour Virginie, comment tu fais pour gérer autant de casquettes et avoir une vie de famille ? Ça paraît impossible…
Virginie Dedieu : Ce n’est pas toujours facile de synchroniser tout ça ( elle sourit ). On m’appelle parfois à l’étranger pour monter une chorégraphie et réaliser une mise en scène de natation synchronisée. J’emmène avec moi mon ordinateur afin de gérer sur du temps libre mon activité d’architecte d’intérieur. Autre exemple, j’étais dernièrement à Doha pour les championnats du monde de natation artistique, en tant que consultante, il fallait donc que je fasse ce travail sans rien laisser de côté. Je suis aussi bénévole pour Paris 2024, ça me prend du temps, mais ça me passionne. Il y a aussi depuis 17 ans des stages de natation synchronisée, via mon association, pour des filles du monde entier, de tout niveau. Ça me tient à cœur de maintenir toutes mes activités en parallèle. 

Pourquoi t’investir autant pour Paris 2024 ?
C’est hyper gratifiant d’avoir les Jeux. On s’est battu pour les avoir. J’avais participé aux candidatures Paris 2008, Paris 2012… J’ai fait beaucoup d’interventions dans les écoles, auprès des politiques aussi, pour valoriser le sport. Parler de la santé, du bien-être et de l’éducation sportive que l’on doit avoir envers les petits. Enfant, quand on fait du sport et que l’on est bon, vous êtes catalogué comme un cancre… Ce n’est pas possible de laisser passer ça. Paris 2024 fait beaucoup de communication pour faire évoluer les mentalités. Le sport, c’est une raison de santé publique. 

Dans ton sport, la natation artistique, les meilleures nageuses sont souvent les meilleures étudiantes. Comment tu l’expliques ? 
Les qualités que l’on développe, c’est d’abord l’aisance dans l’eau. De la souplesse, de l’endurance, de la force, de la vélocité. Savoir apprendre un paquet de ballets, les uns derrière les autres, être synchronisé à la fraction de seconde près demande énormément d’informations à emmagasiner. C’est de l’intelligence, oui, beaucoup. En s’entraînant 12 à 20 heures par semaine, on pourrait penser que c’est le contraire. Mais non, si le cerveau lâche dans ce sport, on n’y arrive pas. 

Avec un mari qui évoluait en équipe de France de baseball, vos enfants ont un chemin tout tracé vers un sport de haut niveau ? 
J’ai mis mes deux garçons aux bébés nageurs, c’était capital pour moi qu’ils sachent rapidement bien nager. On a le sport dans le sang. Mais jamais on ne les force à quoi que ce soit. Ils ont fait leur chemin. On ne les pousse pas.

Ta médaille de bronze olympique trône au-dessus de la cheminée ?
Pas du tout. Aucune médaille, aucun trophée n’apparaît chez moi. 

Une médaille olympique, ça change la vie ?
Ça ne change pas la vie pour moi, dans un sport si confidentiel et amateur. Mais dans le respect, oui. Les autres sportifs savent ce que ça représente. Ça nous donne une équité avec les autres sports. J’ai été invaincue pendant 6 ans : championnats de France, d’Europe, Coupe du monde. Mais aux JO, il n’y avait alors pas d’épreuves solos. Je n’ai donc pas pu être championne olympique ( elle a obtenu sa médaille de bronze en duo, Ndlr. ) Ça aurait peut-être changé un peu plus ma vie, un titre solo m’aurait donné une autre envergure. 

Tu as aussi une médaille de la Légion d’honneur et deux bâtiments officiels à ton nom. Ça représente quoi ?
C’est une reconnaissance énorme, bien entendu. Recevoir la Légion d’honneur, ça surprend encore plus qu’une médaille d’or.  C’est inattendu, beaucoup d’émotions. On pense que c’est réservé aux hommes politiques ou à Marie Curie. Une piscine près d’Aix-en-Provence porte mon nom et une école porte aussi mon nom à Bouc-Bel-Air ( Bouches-du-Rhône ), près de chez moi. Quand on m’a proposé ça, c’est vrai que c’était extraordinaire.

Tu es aussi connue et reconnue au Japon. On parle de toi comme d’une star là-bas, à quoi c’est dû ?
La natation artistique est très suivie au Japon, ils sont d’ailleurs bien plus ouverts que nous à de nombreux sports. Les championnats nationaux sont retransmis à la télé nationale, c’est culturel chez eux. J’ai donc été souvent sur place pour des compétitions. Ils aiment les Français, on le sait. Dès que j’ai commencé à gagner, avec des chorégraphies très différentes, ça les a fascinés. J’ai reçu alors beaucoup d’articles, un livre-photos, deux DVD, une apparition dans un manga japonais…

Parle nous de Yumi Matsutoya, une chanteuse pop qui t’a invité dans son immense spectacle. 
C’est une des plus grandes chanteuses japonaises. Elle m’a contacté pour jouer dans son spectacle, «Shangrila III, le rêve d’un dauphin», une sorte de Cirque du soleil. Cette chanteuse pop rock, c’est l’équivalent de Johnny Hallyday là-bas. Gros budgets, gros shows. Je démarre le spectacle dans un cerceau perché à 18 mètres de hauteur ! J’ai pu créer des choses que je n’avais jamais faites. C’était l’année où je venais d’arrêter définitivement ma carrière, je n’ai pas eu le temps de réfléchir, j’ai foncé. 

Avec tous ces sports de haut niveau devenus de plus en plus exigeants, être mère et sportive professionnelle, c’est encore possible de nos jours ? 
Carrément ! Être mère et sportive de haut niveau, c’est possible. de plus en plus de femmes le prouvent. À l’image de la judokate Clarisse Agbegnenou. Les esprits s’ouvrent, l’équilibre homme-femme aide à ça, même s’il reste beaucoup de chemin. Mais j’ai pu le faire en 2015, malgré tout. Si j’ai pris ma retraite sportive, c’est parce que mon sport reste un sport amateur, il fallait que je gagne ma vie. J’ai dû passer mes diplômes d’architecte d’intérieur et travailler. Si j’avais pu être sportive de haut niveau, vivre de mon sport et avoir des enfants, je l’aurais fait. J’y crois !