Tonton David : l’interview posthume

26 février, 2021 / Jerome Goulon

« J’ai grandi avec le sentiment que les dés sont plombés, qu’on ne part pas tous sur la même ligne. »

Tonton David est mort le 16 février dernier à 53 ans, victime d’un AVC. Un véritable choc pour toute une génération. Le chanteur s’était fait connaître dans les années 1990 grâce à son tube Chacun sa route, qu’il avait composé avec Manu Katché et Geoffrey Oryema. Nous l’avions rencontré en 1994, année de la sortie de ce hit. En hommage, nous publions de nouveau cet entretien…

Entrevue : Tonton, si, comme l’autre, tu devais devenir président de la République, quelle mesure d’urgence prendrais-tu ?
Tonton David : Tous les bureaux à louer dans Paris, j’en ferais des logements.

Tu as déjà rencontré Mitterrand ?
Non. Mais il y a plein de gens que j’aimerais rencontrer avant lui.

Quand Mitterrand est arrivé au pouvoir en 1981, tu vivais en banlieue, à Bobigny. Ton avenir, toi aussi, tu le voyais en rose à l’époque ?
En 1981, j’avais 13 piges et je ne voyais pas d’avenir. Je voyais ma mère trimer pour rien, c’est tout. On était mal habillés. Nous, ce qu’on voulait, c’est être habillés décemment. Quand j’allais à l’école, j’avais la honte, j’étais mal habillé !

Tu pensais déjà à te barrer du giron parental ?
Ouais, j’avais déjà un pied dehors. J’ai grandi avec le sentiment que les dés sont plombés, qu’on ne part pas tous sur la même ligne. C’est lorsque tu vas à l’école que tu vois ça. Dans toutes les classes, tu as le clan des pauvres et le clan des riches. Je m’étais déjà fait serrer pour deux ou trois trucs. C’était mieux que je me barre, parce que, comme je respecte beaucoup mes parents, j’avais pas envie que les flics viennent chez moi. Mais j’ai jamais été un grand dur.

Ils faisaient quoi, tes vieux ?
Ma mère travaillait à l’hosto et mon père aux PTT. Ils avaient l’uniforme des Domiens ( personnes issues des DOM-TOM, Ndlr. ) Mes parents sont arrivés ici avec des rêves plein la tête, en essayant de donner l’exemple à leurs enfants.

On peut pas dire qu’ils aient réussis… T’as fait de la taule, t’étais fan de Mesrine…
J’avais le culte de Mesrine, pourtant il était un peu raciste, mais c’était un passionné… La première fois que je suis tombé, j’ai fait une semaine pour vol à l’arraché et cambriolage. Quand je suis sorti de taule, je me suis dit : « Ça va finir tragiquement. » Je me disais que je ne travaillerais pas. Et puis si t’as les couilles de casser la porte d’un pavillon, tu fais forcément partie d’une élite ! 

Qu’est-ce qui t’a empêché de basculer ? C’est la musique ?
C’est tout un trip ! À un moment, j’ai commencé à lire, à me poser des questions sur moi, sur mon état de Noir… En taule, il y avait un mec au-dessus de moi, qui me faisait passer au yo-yo des bouquins. Et puis j’ai commencé à faire de la musique, fin 1990, et j’ai cartonné. Si la musique n’était pas mon métier, je ne pourrais pas bouffer.

T’as déjà joué devant des taulards ?
Ouais, on a joué en prison. Mais c’est pas en prison qu’il faut faire le travail. Parce que la prison, c’est l’école du vice. 

Un mec qui fait du reggae, il peut pas vivre sans joint, non ?
Je fume pas mal, mais je fais pas la promotion du shit. Il y a tellement de désinformation ! Regarde les émissions de télé. On va te montrer un mec en train de se shooter, on va même te montrer un peu de sang, et puis juste derrière, tu verras un mec tirer sur un joint en gros plan… Non, je veux pas faire d’amalgame !

Une de tes chansons a pour thème les SDF. Ça t’est déjà arrivé de tendre la main ?
Non, justement. J’ai dormi dans des caves mais je n’ai jamais tendu la main.

Côté nanas, tu te sers un peu de ta notoriété pour aligner, ou tu es un sentimental ?
Non. C’est les filles qui me font des misères.

C’est quoi la réussite, pour toi ?
Le jour où je réussira, je serai gros, j’aurai cinq ou six grands enfants qui m’appelleront papa. La réussite finale, c’est de ne pas être seul en fait. Le reste, c’est des conneries.