Les meilleurs ennemis Macron et Le Pen débattront-ils de nouveau bientôt ?

14 mai, 2024 / Radouan Kourak


Depuis 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont imposés comme les deux figures dominantes de la scène politique française, incarnant des visions diamétralement opposées de la société et de l’avenir du pays. Leurs affrontements lors des débats d’entre-deux-tours des élections présidentielles de 2017 et 2022 ont marqué les esprits, et un troisième face-à-face pourrait bien se profiler à l’horizon.

L’idée qu’un président en exercice débatte avec un adversaire n’est pas sans précédent. En 1992, François Mitterrand avait débattu avec Philippe Séguin lors du référendum sur Maastricht. De manière similaire, Emmanuel Macron pourrait se retrouver une nouvelle fois face à Marine Le Pen, bien que ce soit une situation peu commune dans la tradition politique française. Cette perspective de débat soulève des questions non seulement sur l’avenir immédiat de la politique française, mais aussi sur les stratégies à long terme des principaux protagonistes.

Emmanuel Macron a révolutionné le paysage politique en absorbant les appareils de la droite (LR) et de la gauche (PS), formant un bloc central, souvent qualifié d’UMPS. En se positionnant comme le champion de la mondialisation, du fédéralisme européen et du libéralisme économique, il a attiré un large spectre d’électeurs du centre. Son ascension fulgurante et sa capacité à fédérer autour de lui des forces politiques traditionnellement opposées ont redéfini les règles du jeu politique. Macron, en capitalisant sur la désillusion des électeurs vis-à-vis des partis traditionnels, a su se poser en figure de renouveau et d’espoir pour une partie importante de l’électorat français.

Marine Le Pen, quant à elle, a réussi à rendre son parti, le Rassemblement National (RN), plus acceptable aux yeux du grand public. Après des décennies de leadership par son père Jean-Marie Le Pen, elle a transformé le RN en une force politique majeure, incarnant une opposition qualifiée de « patriote » qui englobe nationalistes, eurosceptiques et anti-mondialisation. Avec 89 députés, le RN est désormais la principale force d’opposition à l’Assemblée nationale. Cette normalisation du RN, autrefois perçu comme un parti d’extrême droite infréquentable, a été un travail de longue haleine, consistant à modérer le discours sans pour autant trahir les fondamentaux de son électorat. Marine Le Pen a ainsi réussi à convaincre une part croissante de la population que son parti était prêt à gouverner.

Le traditionnel clivage droite-gauche semble s’effacer, remplacé par des lignes de fracture nouvelles : d’un côté, la mondialisation et le libéralisme incarnés par Emmanuel Macron et son bloc central ; de l’autre, le protectionnisme et le nationalisme de Marine Le Pen. Un troisième bloc est représenté par Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, avec des écosocialistes, des communistes et des partisans de l’immigration. Ces trois blocs structurent désormais la vie politique française, chacun avec une vision bien distincte de la France et du monde.

Les partis historiques comme le PS et LR sont aujourd’hui en grande difficulté, survivant principalement grâce à leur ancrage local et aux collectivités qu’ils dirigent. Le paysage politique français est désormais dominé par ces trois grands blocs, chacun tentant de se démarquer dans un contexte de recomposition politique constante. La faiblesse relative du PS et de LR, autrefois piliers de la vie politique, reflète une désaffection profonde des électeurs pour des formations perçues comme incapables de se renouveler et de répondre aux défis contemporains.

Macron et Le Pen, malgré leurs différences, partagent un point commun : l’opposition à Jean-Luc Mélenchon et à ses idées. Cette animosité réciproque renforce leur statut de « meilleurs ennemis ». Ils représentent deux visions radicalement opposées de la société française. Alors que Macron prône une ouverture sur le monde et une intégration européenne renforcée, Le Pen défend une France souveraine, protectionniste et méfiante à l’égard de l’immigration et des institutions européennes.

Vers un troisième débat Macron – Le Pen ?

Marine Le Pen a récemment exprimé son désir de débattre avec Emmanuel Macron, insistant sur l’importance des enjeux nationaux, même dans le contexte des élections européennes. Bien qu’elle ait initialement souhaité un débat après les élections en septembre, Le Pen se dit désormais prête à discuter avant, à condition que les sujets abordés ne se limitent pas à l’Europe, mais incluent également des questions telles que le pouvoir d’achat, l’insécurité, l’immigration et la santé. Cependant organiser un tel débat avant le 9 juin n’est pas chose certaine, donc l’option d’un débat après les européennes reste viable. Le camp macroniste, favorable à un échange, considère cette proposition comme une opportunité pour Le Pen d’expliquer les actions de son parti sur la scène européenne, tout en voyant dans cette demande une preuve de son manque de compétences sur les questions européennes.Pour Macron, accepter un débat avec Marine Le Pen serait un pari risqué mais potentiellement payant. Comme François Mitterrand en 1992, il pourrait choisir de confronter directement son principal adversaire, soulignant ainsi son rôle de défenseur de la République contre l’extrême droite.

Depuis 2017, ce fil rouge prévaut en permanence. À l’époque, ce n’est pas Emmanuel Macron qui choisit son adversaire du second tour, celle qui lui permettra de triompher dans la peau du héraut de la République. Les deux partis de gouvernement, LR et le PS représentés par François Fillon et Benoît Hamon, ont présenté chacun un homme qui, pour des raisons très différentes, signera leur perte. La responsabilité des socialistes et de la droite, incapables par la suite de construire une doctrine et une stratégie grâce auxquelles ils auraient relevé la tête, est immense, il suffit de regarder leurs scores en 2022 (4,78 % pour Valérie Pécresse, 1,74 % pour Anne Hidalgo) pour s’en convaincre.

Emmanuel Macron aura tout fait, du premier jour jusqu’à maintenant, pour faire du Rassemblement National son principal adversaire, parce qu’il sait bien qu’elle est son assurance-vie. Et Marine Le Pen, trop contente d’être ainsi valorisée, aura été sa plus fidèle alliée dans la construction de ce mano a mano. Souvenons-nous de leur premier tête-à-tête à l’Elysée, le 22 novembre 2017. Lui tout en séduction, il ne peut pas s’en empêcher : il lui dit avoir eu une pensée pour elle, le soir d’un débat télévisé où elle a été obligée de rester debout trois heures avec des talons. Et il prend le soin de raccompagner jusqu’au perron de l’Elysée sa visiteuse du jour. Elle, toujours sensible aux attentions – chez les Le Pen, on sait ce que ça veut dire d’être banni des palais officiels. « Il a été charmant, cash dans son expression, intelligent », confiera-t-elle dans la foulée. Bientôt, elle trouvera « très beau » le discours prononcé, le 8 décembre 2017, par le chef de l’État pour la mort de Jean d’Ormesson – « Ça nous change de ceux de François Hollande. »

L’élection présidentielle de 2022, suivie de l’arrivée en masse de députés issus du Rassemblement national, achève d’installer Marine Le Pen en cheffe de l’opposition. Banalisation, normalisation, augmentation. En 2017, Marine Le Pen obtient 21,30 % des suffrages ; en 2022, elle grimpe à 23,15 %. Des sondages récents la créditent, pour 2027, du score inouï de 36 %. Personne n’a réussi un tel résultat… depuis 1974. Un certain François Mitterrand, candidat de l’union de la gauche, avait alors dépassé les 43 % au premier tour, avant d’être battu au second.

Depuis 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont affrontés dans une série de batailles politiques qui ont redéfini le paysage politique français. Leur rivalité continue de structurer la politique nationale, et un nouveau débat pourrait bien être le prochain chapitre de cette opposition. En tant que « meilleurs ennemis », ils incarnent pour l’heure les deux pôles autour desquels s’organise désormais la vie politique en France.

Cependant, en 2027, à l’issue de son second mandat, Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter. La question se pose alors : le macronisme pourra-t-il perdurer sans Emmanuel Macron ? Les noms de possibles successeurs circulent déjà : Édouard Philippe, Gérald Darmanin, ou encore Élisabeth Borne. En politique, il n’y a aucune logique simple ; hier, le clivage était droite-gauche, aujourd’hui, il est mondialistes contre anti-mondialistes incarné par Macron et Le Pen. Ce qui se passera demain reste incertain.

Pour l’instant, Macron et Le Pen sont les meilleurs ennemis, et ils ont tout intérêt à faire perdurer cette dualité. Cette opposition leur est mutuellement bénéfique, solidifiant leurs bases électorales respectives et structurant le débat politique autour de leurs visions contrastées. En cultivant cette rivalité, ils continuent d’exercer une influence dominante sur la scène politique française. La rivalité entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron est si prégnante qu’elle a conduit leurs protégés à un débat prévu le 23 mai prochain. Jordan Bardella, en tête des sondages pour les élections européennes en tant que leader du Rassemblement National, se mesurera au Premier ministre Gabriel Attal lors de cette confrontation diffusée sur France 2. Cette rivalité transcende les personnalités pour incarner des idéologies bien distinctes, où les « Macron » et les « Le Pen » symbolisent des visions politiques opposées.