Jean-Marie Bigard : « Je suis sur la fin de ma vie. Je n’aborde plus aucun sujet qui peut m’attirer des emmerdements. »

16 avril, 2024 / Jerome Goulon

Durant plusieurs décennies, Jean-Marie Bigard a bâti son succès sur un humour trash et sans limites. Un humour qu’il déplore ne plus pouvoir pratiquer aujourd’hui sans la crainte d’être pointé du doigt. Ce n’est donc pas un hasard si le titre de son nouveau spectacle est « J’arrête les conneries ». Également auteur du livre « Les 50 dernières phrases juste avant de mourir », Jean-Marie Bigard, 69 ans, s’est livré dans une longue interview accordée à Entrevue, publiée dans notre numéro de février. Un entretien à retrouver dès maintenant en intégralité ici !

Entrevue : Comment se passe ce début d’année pour toi ?
Jean-Marie Bigard : Eh bien, ça se passe très bien. Mon nouveau spectacle J’arrête les conneries marche du feu de Dieu, puis je suis en train d’en écrire un nouveau qui devrait voir le jour vers la fin de l’année ou début 2025. Il y a aussi la sortie de mon livre Les 50 dernières phrases juste avant de mourir… illustré par le génial Emmanuel Chaunu. À côté de ça, mon quotidien : de la marche, de l’exercice, et pas une goutte d’alcool, histoire de vieillir le mieux possible.

Tu ne t’arrêtes jamais…
Ben là, si je m’arrête, je meurs. Tu vois, c’est comme celui qui, en plein marathon, s’arrête au 32e kilomètre, ça ne veut plus rien dire après. 

Il faut dire que tu es un gros bosseur depuis toujours…
Oui, et plus ça me fatigue, plus je me dis que c’est ça qui me tient en vie. Dans tous les cas de figure, je n’ai pas intérêt d’arrêter. Je préfère mourir comme les purs-sangs, en courant. 

De quoi parle ton spectacle ? 
J’attaque le spectacle en disant : «  Si tu as l’audace d’appeler ton spectacle, ‘J’arrête les conneries’, il y a un certain nombre de sujets qu’il ne faut pas aborder. Voici la liste… ». Et je montre la liste des choses qu’il ne faut pas aborder, du genre les gilets jaunes, les attouchements, la pilule, l’éducation, etc. Puis je prends cette liste, et pour certaines choses, je fais une petite parenthèse. Mais je n’aborde aucun sujet qui peut fâcher ou m’attirer des emmerdements. Ça me permet de hurler, ce que les gens adorent, sur des choses plus simples, mais qui ne sont pas moins importantes pour autant. 

Comme quoi, par exemple ?
Je parle de quelques grands cataclysmes que l’on a subis pour marcher aujourd’hui sur la tête, comme la disparition du slow que je considère comme une catastrophe nucléaire avec des conséquences très graves. On est passé de « danser ensemble » à « danser chacun de son côté ». On a perdu l’occasion de décrocher un moment magique avec la rencontre du corps à corps, c’était tellement merveilleux. Moi, j’ai 69 ans maintenant, et je suis toujours en deuil de l’arrêt des slows. C’était juste une occasion merveilleuse de pouvoir se respirer avec quelqu’un, de sentir le parfum dans le cou, de tenter n’importe quoi, même une conversation ridicule, n’importe quoi. C’était une période magnifique qu’on ne vivra plus jamais et qui ampute un peu plus tous les espoirs de l’être humain. 

C’est certain qu’aujourd’hui, « La Boum » de Claude Pinoteau ne serait pas le même film…
Ça, c’est sûr. Même d’envisager un film, sans que ce soit un porno, où l’on danserait un slow dans un appartement. Le scénariste n’oserait même plus écrire «Est-ce que je peux vous mettre un slow pour qu’on danse à la maison ?» Même là, t’as l’impression qu’il a des alarmes qui vont se mettre à klaxonner de partout et que GIGN va arriver par la vitre…

Tu parlais d’autres cataclysmes. Lesquels ?
Dans mon spectacle, je parle aussi d’un deuxième grand cataclysme, c’est la pilule. C’est d’être passé de «avoir des enfants sans les désirer vraiment» à «avoir ou pas des enfants». C’est énormissime et c’est passé presque inaperçu. 

Explique-nous le fond de ta pensée…
Maintenant, la plupart des enfants sont désirés et sont des enfants rois, pour la bonne raison qu’on les a désirés. Maintenant, l’enfant décide et organise, et les parents oublient leurs responsabilités d’éducateurs. Cette simple pilule est responsable de la déliquescence de la famille qui elle-même est responsable de toutes les violences du monde. Ce sont donc à chaque fois des sujets qui ont l’air un peu futiles, mais sur lesquels je ne risque pas de me faire dégommer et où je peux hurler comme le cerf qui brame pendant la période du rut. 

Dans ton spectacle, un autre «cataclysme» te tient à coeur…
J’évoque en effet un troisième grand cataclysme, que sont les contes et les chansons pour enfants. Comme je te le disais, j’ai 69 ans et je suis encore choqué de ce qu’on m’a obligé à fredonner. « Une souris verte », par exemple, ce n’est pas l’histoire d’une souris qui courait dans l’herbe, non ! Elle fuyait ses assaillants qui comptaient lui péter le fion. C’est une histoire de torture et d’attouchement. Et nous, les adultes, on chante ça sur un air guilleret. Bref, je mène mon spectacle comme ça. J’explique aux gens qu’une mauvaise pensée peut tuer quelqu’un à l’autre bout de la terre. Une mauvaise pensée, c’est comme un couteau qui est lancé avec énormément de violence et un jour, quelqu’un va prendre ce couteau et va tuer quelqu’un. Je descends dans les profondeurs de la psychanalyse pour expliquer que l’idéal, ce serait même de ne pas avoir de mauvaises pensées. Je retourne tout à l’envers, je roule dans les nouvelles règles, j’insiste et j’essaie de démonter avec un maximum d’humour tous les endroits où l’on marche sur la tête. Parce qu’on rentre dans un étau qui se resserre sur nous et qui est complètement insensé. Je me régale parce qu’en cette période, on nous sert directement la matière sur un plateau. Ce qu’on vit, ces nouvelles règles, toutes ces choses qui nous amènent à faire attention en permanence, c’est du pain béni pour les humoristes. 

C’est quoi ta définition du rire aujourd’hui ?
L’idée de faire rire, c’est d’oser la violence. Parce que c’est le malheur qui fait rire, ce n’est pas le bonheur. Le bonheur fait pleurer, c’est ça qu’il faut savoir. Au cinéma, quand arrive un moment de bonheur dans le film, les amants se retrouvent et s’embrassent en larmes. Là, on n’éclate pas de rire, on ne se marre pas en voyant qu’ils s’aiment à nouveau. Par contre, quand tu vois une vieille dame glisser sur une plaque de verglas, le temps où elle a les deux pieds en l’air, tu es écroulé de rire. Bon, après, elle tombe, elle se casse le bassin en quatre, tu lui portes secours. Mais la chute, par exemple, qui n’est pas un truc joyeux sur le papier, est un truc qui fait beaucoup rire. De manière générale, le seul moyen de se sortir du malheur, c’est celui-là. Si on nous supprime ça, on est super mal barré. 

Ton spectacle a été écrit, entre autres, par Laurent Ruquier. Quelle est ta relation avec lui aujourd’hui ?
Eh bien, elle est plutôt très bonne. D’abord, je remercie Laurent d’avoir trouvé ce magnifique titre «J’arrête les conneries». Aussi, on est régulièrement ensemble dans l’émission des Grosses Têtes chez RTL et on s’amuse bien. 

Tu as été chroniqueur à TPMP. Pourquoi as-tu quitté l’émission ?
Non, je ne l’ai pas quittée. Il y a un mec qui dirige l’émission qui s’appelle Cyril Hanouna. C’est un ami, mais quand il n’a plus envie, il n’a plus envie. L’autre jour, parce que je fais quand même partie de la famille, je suis revenu exceptionnellement pour faire la promotion de mon livre et de mon spectacle et Cyril m’a dit : «Jean-Marie, tu reviens quand tu veux», ça c’était super bien passé, et je lui ai répondu : «Non, Cyril, je reviens quand TU veux!» Bon, peut-être qu’ils ont eu un peu trop l’ARCOM au cul. Mais il s’avère que le public adore quand Jean-Marie Bigard est là parce que justement, je franchis un certain nombre de limites. C’est ce que les gens attendent de moi et c’est ce que je fais volontiers. 

« Je pense que ça ne sert plus à rien de chevaucher tout seul sur ton cheval, à poil et sans armure… »

Regrettes-tu certaines positions qui ont pu avoir un impact négatif sur ta carrière ?
Dans le passé, je me suis fait du mal à moi-même, je viens de le comprendre. Je suis sur la fin de ma vie, je n’aborde plus aucun sujet qui peut m’attirer des emmerdements. Je pense que ça ne sert plus à rien de chevaucher tout seul sur ton cheval, à poil et sans armure, et puis de balancer une vérité qui te semble logique et nécessaire pour te faire descendre par tout le monde. Maintenant, je me contente de faire rire les gens en envoyant du lourd sur des choses qui sont des références connues de tous, mais qui ne sont pas dangereuses. C’est un exercice de style formidable. Je suis sur scène, les gens hurlent de rire et je ne prends plus le risque suprême de m’engager sur un truc qui va déclencher une polémique. 

Tu êtes marié depuis plus de 10 ans avec Lola Marois. Que dis-tu de la comédienne qu’elle est ? 
Lola est une merveilleuse comédienne. Elle apprend ses textes au rasoir à la vitesse de la lumière. Elle est tout le temps dans l’œil de la caméra et je suis stupéfait par sa mémoire et son sens du jeu. Ma femme, c’est un stradivarius. Elle a un talent incroyable et c’est bien pour ça que TF1 la met tout le temps en bonne position. Quand elle a décroché le rôle d’Ariane dans Plus belle la vie, je lui ai dit : «Tu sais, Ariane, c’est le nom d’une fusée et c’est cette fusée qui va t’emmener très haut». Je lui prédis de faire de grands rôles dans de gros morceaux produits pas la chaîne. 

Ça fait maintenant 15 ans que vous êtes ensemble. Une recette de l’amour à nous partager ?
Quand on s’est rencontrés, j’ai été foudroyé par sa beauté et son humour. Parce qu’avec Lola, le ciment qu’on a et qui nous unit, c’est l’humour. On se fait péter de rire. Parfois, on peut plus parler tellement qu’on rigole, juste sur une vanne. On se tape des crises de rire incroyables. Tu vois, c’est ça l’amour. Bon, après, je n’ai plus le sexe en bois que j’avais il y a 10 ans, c’est un peu plus emmerdant, mais on fait avec. Je suis obligé de tirer sur l’élastique un peu plus fort…

Quels sont les rapports que tu as avec Claudia, ton ex-femme ?
Nos rapports sont très bons. Elle est au Brésil avec mon premier fils, Sacha, et nous nous parlons régulièrement. Le deal, c’était que Sacha parle français couramment pour que je garde le contact tout le temps avec lui et c’est chose faite. On s’envoie des mots d’amour, on se parle, je lui raconte des blagues, l’ambiance est formidable. Ce qui est chouette, c’est d’avoir gardé de l’affection les uns pour les autres. Bon, je ne te dis pas que je mettrai Claudia et Lola dans le même box, car ça ferait peut-être la même chose qu’avec deux étalons. Elles ont toutes les deux des caractères très forts, mais tout le monde cohabite très bien. J’attends que le temps qui passe fasse qu’on se retrouve un jour en vacances tous ensemble autour d’une piscine.

« Au Stade de France, j’ai fait une recette de 2,3 millions d’euros. Mais j’avais investi 5 millions d’euros dedans. »

Tu es le seul humoriste à avoir rempli le Stade de France. Combien ça rapporte ?
Énormément d’argent, mais avec une prise de risque énorme aussi. J’ai payé le Stade de France de ma poche, c’est ma production qui l’a produit. J’ai eu des exigences terribles et ça a marché du feu de Dieu. Le public a passé un moment formidable et surtout, ça a été pour moi un kif insensé. Pour te dire la vérité sur ce que ça a rapporté, au Stade de France, j’ai fait une recette de 2,3 millions d’euros. Mais j’avais investi 5 millions d’euros dedans. J’avais donc un déficit de 2,7 millions. Le truc, c’est qu’à l’époque, j’avais un contrat avec TF1 que personne n’aura jamais plus. C’était les débuts du DVD et mon contrat me donnait 7 euros par DVD vendu. Il fallait donc que j’en vende 400 000 pour revenir à zéro. 

Et tu en as vendu combien ?
Au final, j’en ai vendu 1,4 millions. Tu la vois l’histoire ? Et avec une prise de risque absolue. Après, je sortais de 10 ans de Zénith et j’en faisais trois par semaine qui se remplissaient un an à l’avance, donc je ne partais pas avec des sacoches vides. Mais le résultat a été complètement hallucinant. 

Le Stade de France, c’était la consécration ultime de ta carrière ?
Comme je n’ai jamais reçu de médaille et que je n’en recevrai vraisemblablement jamais, je me suis dit que j’allais me la faire moi-même, et cette médaille, c’est le Stade de France. 

Propos recueillis par Gabriel Dallen…