INTERVIEW EXCLUSIVE – Myriam Chalghoumi : « J’ai la chance de pouvoir défendre les couleurs des Émirats, qui font vraiment de gros efforts pour mettre les femmes en valeur »

22 février, 2024 / Entrevue

Myriam Chalghoumi a grandi à Gonesse, dans le 95. Mais il y a six ans, elle a décidé de changer de vie en s’installant aux Émirats arabes unis, où elle poursuit des études à la Sorbonne d’Abu Dhabi tout en pratiquant la boxe thaïlandaise. Une pratique qui lui réussit plutôt bien, puisqu’elle est devenue championne du monde en 2022, sous le drapeau émirien. Interview avec une championne bien dans sa tête et dans son corps …

Entrevue  : Bonjour Myriam, parlez-nous un peu de vous…

Myriam Chalghoumi : Je vis à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, depuis six ans, et je suis inscrite à la fédération de kickboxing et de muay-thaï. J’ai été repérée et j’ai intégré la National Team des Émirats. Ça fait deux ans que les filles peuvent pratiquer ce sport. Jusque-là, aucune femme ne pouvait représenter les Émirats.

Depuis quand pratiquez-vous des sports de combat ?

Depuis que je suis jeune. J’aimais ça et j’avais besoin de savoir me défendre, parce que je suis une femme. Je suis née à Gonesse, dans le 95, j’ai grandi à Paris, et pour moi, c’était important de savoir me défendre, car je prenais le métro … Grâce à la pratique de la boxe, je me sentais en sécurité.

Et ça vous est arrivé de devoir vous battre dans la rue ?

Les gens pensent que les combattants cherchent la bagarre en dehors du ring, alors que c’est tout le contraire. Ceux qui savent se battre ont tendance à réfléchir à deux fois avant de combattre. On apprend une discipline et à gérer notre colère. À l’inverse, ce sont souvent ceux qui ne savent pas se battre qui cherchent la confrontation.

Vous avez déjà une belle ligne à votre palmarès 

Oui, j’ai gagné le Championnat du monde ici, aux Émirats, en 2022. J’ai reçu la médaille en main propre par Son Altesse Mohammed ben Zayed Al Nahyane. C’était un honneur.

Vous poursuivez vos études en parallèle de la boxe ?

Oui. Je suis étudiante aussi à la Sorbonne d’Abu Dhabi. J’ai obtenu une Licence Économie et Gestion, et je vais faire un Master. Je m’entraîne trois ou quatre 3 ou 4 heures par jour en parallèle de mes études, donc j’ai un emploi du temps chargé. Dès 5h30 du matin, je suis réveillée.

Et vous arrivez à concilier /es deux ?

Oui. Plus tard, j’aimerais travailler dans le sport et médiatiser la présence des femmes. J’ai la chance de pouvoir défendre les couleurs des Émirats, qui font vraiment de gros efforts pour mettre les femmes en valeur.

Contrairement à certains préjugés 

Oui. Ici, la valeur de la femme est le contraire de ce que l’on pense en France. En France, on pense que lesfemmes des Émirats portent forcément le voile, alors que c’est très ouvert. La femme fait ce qu’elle veut.

Et sportivement parlant, avec les garçons, ça se passe comment ?

Beaucoup de garçons viennent me voir en me disant que si je gagne, c’est parce que je ne combats pas contre des garçons. Mais à la fédération, on s’entraîne tous ensemble, filles et garçons. J’ai déjà mis des garçons KO, je ne fais pas de différence. En revanche, les hommes, eux, font la différence quand ils se font battre par une fille. C’est un coup dans leur égo …

Vous ne regrettez donc pas d’avoir quitté la France 

Non. Je ne dénigre pas ma nationalité. Je suis française et fière de l’être, mais pour moi, habiter aux Émirats est un plus. On m’a très bien accueillie ici. J’ai le passeport émirien, ça me complète et je me sens bien comme ça.

Que serait votre plus grand rêve ?

Poursuivre mon chemin, gagner des combats, être encore championne du monde et participer un jour aux Jeux Olympiques.

Vous avez un modèle dans la boxe ?

Je suis allée en Thaïlande récemment, et les boxeurs là-bas sont tous des modèles pour moi. Ils s’entraînent matin, midi et soir. C’est un autre monde, c’est magnifique à voir. La Thaïlande, c’est le top niveau. D’ailleurs, aux Émirats, nos entraineurs sont thaïlandais. Pour eux, la boxe n’est pas qu’un sport, c’est un art de vivre.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Mon championnat du monde. On m’a pris à la fédération et on m’a dit : « On ouvre une catégorie pour les femmes, tu es prise, tu as trois mois pour t’entraîner et faire le Championnat du monde ». Pour moi, c’était d’extraordinaire. On était peut-être trois filles à participer à ce championnat, et ça a été l’entraînement le plus dur de ma vie. C’était énorme. Ce n’était même plus physique, c’était psychologique. Je me demandais pourquoi je m’infligeais autant de souffrance. Ça m’a appris à ne pas abandonner. J’étais toute frêle, je n’avais encore rien fait, et j’ai combattu une Vietnamienne qui avait une expérience énorme. Je n’oublierai jamais ce moment-là. Toutes mes camarades des Émirats, qui avaient plus d’expérience, ont perdu, et moi j’ai gagné. Ça voulait dire que dans la vie, tout est possible quand on s’en donne les moyens …

C’est votre philosophie ?Il ne faut jamais abandonner, que ce soit dans les études, le sport, ou dans les expériences que je peux avoir, bonnes ou mauvaises. Il ne faut rien lâcher, surtout en tant que femme.

Propos recueillis par Jérôme Goulon