Interview de Michel Luccioni, photographe de stars : « J’ai pris des photos de Michel Berger que j’ai failli jeter. Il est mort 24h après. »

23 octobre, 2023 / Jerome Goulon

Michel Luccioni a été photographe de presse pour Var Matin, Nice Matin, Corse Matin et Le Figaro Magazine. Il a côtoyé le tout Saint-Tropez et pris des clichés de plus de 2 000 personnalités.  Après un premier livre intitulé Plus près des étoiles, préfacé par son amie Brigitte Bardot, il prépare un second opus à paraître prochainement. Elise Hannart est allée à sa rencontre…

Elise    Hannart : Comment en êtes-vous venu à faire toutes ces photos de stars ? 
Michel  Luccioni :  J’ai   commencé avec le concert de Gilbert Bécaud à Toulon en 1976. Il me laissait absolument tout faire, ce qui est inimaginable aujourd’hui . Il faut dire qu’à l’époque, les artistes avaient besoin de la presse locale pour faire parler d’eux. Moi, j’étais « le photographe » de Var Matin, Nice Matin ou Corse Matin, qui étaient la source d’information numéro un… 

Qu’est-ce qui, d’après vous, déclenchait la bienveillance des artistes à votre égard ?
Au-delà de leur besoin de communication, je pense qu’il y avait ma manière de les aborder, dans le respect, la sympathie. Je me souviens qu’une fois, je m’étais habillé en serveur pour approcher le groupe The Police. Personne n’avait le droit de les photographier, Universal avait mis une exclu. Mais là, ils avaient accepté de poser pour laisser un souvenir aux serveurs au bord de la piscine. 

Avez-vous dû essuyer beaucoup de refus ? 
Je n’ai pas eu beaucoup de refus. Je me souviens par exemple que Johnny ne me disait quasiment jamais non. Je l’avais photographié la première fois au ball-trap de Bandol en 1978. Il était détendu, entre deux  concerts. Il y a par contre une personnalité qui me refusait systématiquement, c’était Eddy Mitchell, et pas gentiment… 

Vous êtes proche de Brigitte Bardot. Racontez-nous…
Je l’ai connue avec Allain Bougrain-Dubourg. Ça fait 40 ans qu’on est amis. Une fois, j’ai fait des photos d’elle à La Garrigue, ça devait se faire sur deux jours et on ne s’est pas très bien compris. Le lendemain, je ne suis pas revenu. Donc j’ai posé un lapin à Brigitte Bardot, ça l’a fait beaucoup rire d’ailleurs ! 

Vous êtes restés amis ?
Oui, on a fait des soirées à La Madrague avec l’humoriste suisse Bernard Haller, son voisin. On jouait à des jeux de société, c’était très simple. On ne parlait ni de cinéma ni de stars. Ces moments-là, j’aurais pu les photographier, mais quand on est trop proche des artistes, on ne peut pas. Un jour, elle m’a autorisé à faire une séance « pour ma retraite », disait-elle en riant, mais j’ai perdu tous les négatifs !

En parlant de Saint-Tropez, c’est aussi Les Gendarmes… 
Oui, bien sûr ! J’étais sur le dernier tournage, Le Gendarme et les Gendarmettes, avec Louis de Funès et Michel Galabru. Galabru était toujours très drôle. De Funès était, lui, assez distant, mais c’est parce qu’il était complètement concentré sur son rôle d’acteur…

Vous êtes corse, alors comment ne pas vous interroger sur Laetitia Casta…  
Laetitia, je connais toute sa famille ! Son père m’avait contacté sur les recommandations d’une agence de mannequins alors que je venais de rentrer au pays, en 1994. Elle était déjà lancée en Italie, à 16 ans. J’ai pris des photos d’elle dans son village à Lumio, sur la plage, dans la rivière. Ce sont ses premières images en France. Je dois dire aujourd’hui, après avoir photographié Claudia Schiffer, Elle Macpherson, ou encore Naomi Campbell quand elles passaient sur la Côte, que pour Laetitia, c’était à devenir fou ! Chaque fois que j’appuyais, la photo était bonne. Je n’ai jamais ressenti autant de bonheur de faire des images qu’avec Laetitia Casta. 

De 1994 à 2018, vous avez photographié beaucoup de stars en vacances en Corse… 
Oui. J’ai réussi à faire Zinédine Zidane alors que la France venait d’être éliminée de l’Euro 2004 contre la Grèce. Il était en Corse à Bonifacio avec sa famille et il ne voulait voir personne. Je connaissais la personne qui lui louait sa maison et elle a négocié pour moi une photo. Il a accepté à condition que l’article paraisse au jour de son départ. Et puis parfois, je laissais jouer le hasard : un jour, j’ai croisé Alain Prost en vélo. Je l’ai interpellé et il a gentiment accepté de s’arrêter…

Vos photos ont une certaine valeur historique ?
Oui, on peut le voir comme ça. Je pense par exemple à Sandrine Bonnaire. J’avais fait une photo presque sans intérêt d’elle sur le tournage de À nos amours à Hyères en 1983, avec Maurice Pialat. Mais comme c’était sa première audition, cette photo a pris une valeur historique et quand je la lui ai présentée, elle a fondu en larmes. 

Un autre exemple, plus triste, c’est celui de Michel Berger…
Oui, j’ai pris des photos de Michel Berger que j’ai failli jeter. Il est mort 24h après…

Racontez-nous…
Michel Berger m’avait enfin accordé un rendez-vous qu’on devait caler avant la fin de l’été. Par hasard, je le croise sur le port avec une femme à ses côtés. Je déclenche et il me dit : « Je t’ai dit qu’on allait faire un rendez-vous, ne fait pas ces photos maintenant, elles n’ont aucun intérêt ! ». Je m’excuse, je pars au développement et je coupe ces trois photos. J’ai failli les jeter, mais je les ai mises de côté sur mon bureau. Il est décédé 24 heures plus tard. La photo avait pris une triste valeur… 

Vous avez également photographié des politiques ?
Oui. C’était vraiment une autre époque, il n’y avait pas de forêt de micros, très peu de sécurité. Quand je fais Jacques Chirac en 1981, en pleine campagne, je monte à côté de lui sur la scène. Il arrête son discours, demande à trois gamins habillés en costumes provençaux de monter sur une table pour qu’ils arrivent à sa hauteur et qu’on puisse faire la photo. C’est inimaginable aujourd’hui…

Tout le monde venait à Saint-Tropez, y compris les grands acteurs américains. Quel souvenir vous laissent-ils ?
J’ai rencontré Sean Connery. C’est l’image même du gentleman. J’ai voulu l’asseoir sur une grosse pierre pour faire une image avec sa femme Micheline, pour la couverture du Figaro Magazine. J’ai vu qu’il était mal à l’aise à cause la poussière alors j’y ai mis ma veste.  Ce simple geste l’avait beaucoup touché !

Vous avez d’autres exemples ?
Oui. Sylvester Stallone, lui, était assez distant, il ne parlait pas. Il est passé à La Voile Rouge et il s’est assis. J’ai fait trois photos et ses gardes du corps sont venus de suite pour dire : « Stop, c’est fini ! », mais sans pression, gentiment… Pour Clint Eastwood, je n’ai eu droit qu’à une photo. J’ai déclenché trois fois, il a pris soin de tourner la tête sur les deux déclenchements en trop.

Certaines rencontres ont-elles transformé votre point de vue sur les artistes ? 
Oui, Renaud ! Sa musique n’était pas ma tasse de thé. Un jour, la rédaction m’envoie le faire à Hyères où il allait chanter. Quand j’arrive devant lui, je vois ce visage qui nous accueille gentiment, poliment. Il nous dit : «  Moi, j’écris des textes, des chansons. Les photos et les interviews, je ne sais pas faire. » Donc je ne veux pas l’embêter, je fais un portrait tout simple. Je suis venu ensuite à son concert, bien que je n’avais pas très envie. En fait, je l’avais « entendu », mais pas « écouté ». Depuis, je suis un fan de Renaud ! Les Amérindiens disent qu’on vole les âmes quand on fait une photo, moi je pourrais dire qu’on les ressent.