Guillaume Kasbarian : « Le squat est un délit. Le squatteur ne doit pas être protégé, il doit être puni. »

04 mars, 2024 / Jerome Goulon

En pleine période de trêve hivernale, nous avons rencontré Guillaume Kasbarian, alors député renaissance d’Eure-et-Loir puis devenu, après notre interview, ministre du Logement. À l’initiative de la loi anti-squat adoptée en juillet 2023, qui permet une expulsion express des squatteurs, il revient sur les statistiques des expulsions de squatteurs et le rôle des médias dans le projet qu’il a porté sans céder aux pressions.

Entrevue : Le nouveau texte de loi durcit les peines qu’encourent les squatteurs. C’est beaucoup plus sévère ?
Guillaume Kasbarian : Auparavant, la peine prévue pour le délit de squat de domicile se limitait à un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende. Avec la loi que j’ai portée et qui a été promulguée cette année, nous avons renforcé considérablement cette sanction, en élargissant la peine à 3 ans d’emprisonnement et 45  000 € d’amende. Parallèlement, nous avons créé un nouveau délit, distinct du squat de domicile, visant le squat de bâtiments commerciaux ou à usage économique, désormais passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30  000 € d’amende. La peine ne peut pas être identique dès lors que vous vous introduisez dans le domicile d’autrui ou dans une entreprise dont les locaux ne sont pas utilisés. 

Les recours pour expulser des squatteurs ont-ils évolué ? 
Oui. Cette loi est l’aboutissement d’un long processus législatif qui a commencé en 2007 avec la création d’un article : le 38 DALO. Cet article autorisait déjà une expulsion rapide des squatteurs via une procédure préfectorale dédiée. Toutefois, nous nous sommes rendus compte que cette procédure avait été très peu utilisée entre 2007 et 2020 pour deux raisons : l’absence de délais requis auprès du préfet et l’absence d’obligation d’action. De plus, la procédure semblait bien trop compliquée. C’est pourquoi, j’ai introduit dès 2020, à travers une grande loi de simplification, dite « loi ASAP », des mesures visant à renforcer l’utilisation de l’article 38 DALO. D’une part, pour que la notion de squat puisse s’appliquer au domicile au sens large,  qu’il s’agisse d’une résidence principale, d’une résidence secondaire ou d’un pied-à-terre, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. D’autre part, pour imposer des délais d’action au préfet. Auparavant, le préfet pouvait être sollicité, mais ne répondait pas toujours aux demandes ou ne prenait pas les mesures nécessaires dans des délais impartis. Désormais, le préfet doit se saisir du sujet et répondre dans un délai de 48 heures. Il ne peut plus s’opposer à la demande du propriétaire ou même du locataire victime de squat en cas de saisie.

Pouvez-vous nous expliquer les démarches à faire si l’on se retrouve avec notre logement squatté ?
En cas de squat, la démarche est désormais beaucoup plus simple. Un, vous allez immédiatement porter plainte à la gendarmerie ou à la police proche de votre domicile et prouver que vous êtes bien le propriétaire ou locataire du logement squatté. Deux, vous saisissez le préfet. À compter de ce moment-là, le préfet a 48 heures top chrono pour vous répondre. Si le constat de police ou de gendarmerie confirme bien  la situation de squat dans votre domicile, le préfet déclenche immédiatement la procédure de l’article 38 DALO et met en demeure le squatteur de partir. Concrètement, il va informer le squatteur qu’il a 24 heures pour quitter les lieux. Si 24 heures plus tard, le squatteur est toujours là, le préfet déclenche alors sans délai l’action des forces de l’ordre et ordonne son expulsion. Comme vous pouvez le constater, cette procédure est relativement simple et rapide. En effet, elle ne relève pas d’une procédure judiciaire mais préfectorale.

Comment les forces de l’ordre peuvent-elles attester que c’est un squat ? 
La première étape, c’est de porter plainte. Ensuite, les forces de l’ordre passent chez vous, constatent qu’il y a bien quelqu’un à votre domicile et mettent ce constat dans leur rapport. Même si vous n’avez pas sur vous votre quittance de loyer ou une preuve qu’il s’agit bien de votre domicile, les services fiscaux pourront être sollicités et en mesure de l’attester. Nous avons vraiment facilité la démarche.

Est-ce au locataire de faire les démarches auprès de la police, ou est-ce au propriétaire de s’en occuper ? 
C’est à l’occupant du bien d’effectuer les démarches. Si le logement est loué, c’est au locataire de faire les démarches, mais le propriétaire peut toujours l’aider. 

Imaginons que quelqu’un rentre chez moi et change la serrure. Avec cette nouvelle loi, vous me garantissez que la situation sera réglée sous combien de temps ? 
En cas de squat avéré, la situation peut être réglée entre 48h et 72h à partir du moment où vous avez porté plainte : le préfet a 48h pour vous répondre, et peut faire intervenir dans les 24h qui suivent les forces de l’ordre pour déloger le squatteur. Après, il peut toujours y avoir des délais un peu plus longs en fonction des situations, mais on reste globalement sur une procédure qui vous permet de retrouver votre domicile au maximum en une semaine ou dix jours. 

Quels sont les chiffres rééls des personnes victimes de squat ? 
Les derniers chiffres que nous avons datent de 2021 : nous étions à environ 200 cas de squats avérés. En 2022, il n’y a pas eu de comptage. Néanmoins, je veillerai à avoir une évaluation précise sous peu. 

Des propriétaires victimes d’un squat peuvent être tentés de régler le problème eux-mêmes. Vous le déconseillez ?
Vous ne pouvez pas sortir quelqu’un vous-même manu militari. Il faut respecter la loi. Si vous forcez la porte vous-même, que vous prenez les affaires du squatteur pour les mettre dehors, vous vous exposez à une peine et à une sanction pénale. Étant donné qu’on ne peut évidemment pas se faire justice soi-même, nous avons vraiment tenu à accélérer un maximum la procédure. Si vous avez un doute, vous tapez sur Google « 38 DALO », la procédure est expliquée, elle tient en moins d’une page et vous avez la possibilité de l’appliquer.

Résidence principale et secondaire, la loi s’applique-t-elle de la même façon ? 
Oui, la protection s’étend à tout lieu constituant le domicile. J’ai apporté moi-même cette clarification en 2020. À l’époque, ma motivation résidait dans un cas particulier impliquant un couple de retraités qui avait découvert que leur résidence secondaire, un petit appartement dans le sud de la France, était squatté. Le préfet leur avait alors répondu : « C’est une résidence secondaire, je ne peux pas appliquer la procédure express d’expulsion ». C’est précisément cette situation totalement incompréhensible qui m’a incité à proposer une modification de la loi. Depuis 2020, je peux vous confirmer que la procédure s’applique aussi bien à la résidence principale qu’à la résidence secondaire, sans aucune distinction.

Que faire si son logement a été dégradé par un squatteur ? 
Porter plainte, systématiquement, quand le logement a été dégradé. Non seulement, pour l’acte de squat qui est punissable par la loi, mais pour toute dégradation qui aurait eu lieu dans votre domicile. En cas de dégradations comme de squats, une seule solution : porter plainte !

La trêve hivernale et la loi anti-squat sont-elles incompatibles ?  
Il est important de rappeler que les squatteurs ne bénéficient pas de la trêve hivernale. C’est un ajout depuis la loi Elan votée en 2018. La loi s’applique à tout le monde sans distinction. Même si la personne qui s’introduit chez vous a un enfant, elle est soumise à la loi comme tout le monde. Quand la situation le justifie, notamment quand il y a des enfants en bas âge, les préfets essaient de proposer des solutions de relogement. C’est notamment pour ça que vous avez des centres d’hébergement d’urgence. Le squat est un délit. Le squatteur ne doit pas être protégé, il doit être puni. 

Est-ce que certaines associations ont des moyens de pression qui permettraient de ne pas faire appliquer la loi ?
Plus vous tardez, plus vous vous exposez à ce que le squatteur ou des associations tentent d’empêcher l’intervention des forces de l’ordre, et ce par tous les moyens. Physiques d’abord, avec un risque de violence ou de blessures qui retarderait l’expulsion, légaux ensuite, si le squatteur cherche à obtenir un sursis à la décision du préfet par le biais de procédures judiciaires. Par ailleurs, si vous laissez trainer la situation, le squatteur peut saisir le juge et tenter de démontrer de toutes les manières possibles que le préfet devrait lui accorder un délai supplémentaire avant de procéder à son expulsion. De manière générale, plus vous tardez à entreprendre cette démarche auprès du préfet, plus vous vous exposez aux risques d’obstacles. Dans ce type de situation, le temps joue toujours en la faveur du squatteur. 

Du coup, les squatteurs ont également la possibilité de saisir la préfecture ou un juge pour demander un délai ?
Non, les squatteurs n’ont pas la possibilité de saisir la préfecture pour demander un délai supplémentaire. Par contre, ils ont toujours le choix, comme tout justiciable, de saisir un juge, pour expliquer que le préfet a mal interprété la loi, qu’il n’a pas à utiliser l’article 38 DALO dans cette situation, ou qu’il devrait prendre plus de temps, ou qu’il a été abusif dans cette décision d’expulsion. Nous sommes dans un État de droit, tout justiciable a le droit de contester l’usage qui est fait de la loi et d’aller voir la justice. Plus c’est rapide, et mieux c’est pour tout le monde, sauf pour les squatteurs. Moi, mon objectif n’est pas de protéger les squatteurs. 

En tant que député, pensez-vous que la médiatisation de ce genre de sujet fait évoluer les lois? 
Bien sûr, cela joue à plusieurs titres. Les cas de squats qui ont fait l’objet de médiatisation nous interpellent, suscitent notre attention, et nous incitent ainsi à approfondir le sujet. À titre personnel, c’est bien la médiatisation de certaines affaires qui a déclenché chez moi un intérêt pour améliorer la loi et répondre à des situations injustes. En revanche, quand vous tirez le fil de la médiatisation, vous vous rendez compte que c’est l’arbre qui cache la forêt, qu’il y a d’autres affaires de squats similaires qui n’ont pas été médiatisées, mais qu’il faut traiter car elles sont tout aussi graves. Vous vous rendez compte aussi d’autres problèmes, comme celui des impayés locatifs. C’est pourquoi, en 2023, j’ai élaboré cette loi abordant non seulement la question des squats, mais également celle des impayés locatifs. Nous avons divisé par trois les délais judiciaires qui s’appliquent aux locataires en situation d’impayé, parce que je considère qu’on ne peut pas demander à des propriétaires de rester pendant deux, trois, quatre ou cinq ans avec un locataire qui s’est arrêté de payer….

Avez-vous des conseils, pour éviter les squatteurs ?
Pour éviter les squatteurs, ce que je conseille déjà, c’est de ne pas laisser un logement totalement vide de meubles, pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, et que votre logement soit bien considéré comme un domicile. Ne laissez pas votre maison ouverte, cela parait évident, mais vérifiez aussi bien que les serrures fonctionnent, que le terrain est clôturé et que vous n’avez pas laissé en libre accès votre domicile. Quand vous vous rendez compte qu’il y a un squatteur, allez immédiatement porter plainte auprès de la police et de la gendarmerie. Le premier réflexe ne doit pas être de se dire « J’appelle un journaliste ou je vais poster un message sur les réseaux sociaux ». Il faut aller immédiatement porter plainte. Et enfin, saisissez le préfet ! Rassurez-vous, le droit est de votre côté et vous serez débarrassés des squatteurs en quelques jours ! 

Après cette étape de la loi anti-squatteurs, qu’est-il impératif de réformer selon vous ? 
La France fait face à une crise du logement, particulièrement dans les zones à forte activité économique et touristique. Un nombre considérable de personnes éprouvent des difficultés à trouver des logements disponibles. Cette situation est exacerbée par une crise de la demande, où de nombreuses personnes se voient refuser l’accès à la propriété en raison des taux d’intérêt élevés. Il est impératif d’engager des réformes, car le logement représente la première dépense contrainte des ménages, le loyer ou le remboursement du prêt immobilier constituant la première déduction sur le salaire des Français. Le sujet du logement est un sujet crucial pour le pouvoir d’achat. Ce que nous avons accompli jusqu’à présent ne constitue qu’une étape parmi les nombreuses mesures nécessaires à une réforme d’ampleur du logement. Elle doit être menée dans les mois à venir, car elle est essentielle pour le pouvoir d’achat et la qualité de vie des citoyens. Le gouvernement a d’ailleurs prévu de présenter des textes de loi sur la question du logement à la fin du premier semestre. J’attends avec impatience ces textes, car il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux attentes des Français. 

Interview réalisée par Marie Giancani