Entrevue – Rima Hassan : « En sauvant les Palestiniens on sauve aussi les Israéliens »

04 juin, 2024 / Radouan Kourak

Baignant dans l’anonymat il y a peu, Rima Hassan est aujourd’hui l’une des figures incontournables de La France Insoumise pour ces élections européennes. Nous aspirons à explorer les méandres de son parcours personnel, son engagement pour la Palestine, ses luttes passionnées, et la questionner sur toutes les polémiques. Ce jour, nous avons rendez-vous avec elle dans les locaux d’Entrevue. Rendez-vous est pris pour 12h30. La veille, elle nous informe qu’elle aura déjà enchaîné avec une émission de radio juste avant notre entretien. L’heure tourne, mais à 13 heures, toujours aucune trace de Rima Hassan. Nous a-t-elle posé un lapin ? Finalement, à 13h30, elle arrive en moto-taxi, visiblement gênée par son retard. Malgré ses excuses, nous n’avons que 35 minutes pour mener l’interview et réaliser les photos, car elle doit se rendre chez Mediapart pour un enregistrement. C’est parti !

Entrevue : Vous êtes juriste et militante de plusieurs causes, dont la cause palestinienne et les camps de réfugiés. Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a amenée à vous engager dans ces causes ?

Rima Hassan : C’est la dimension personnelle de mon parcours, puisque je suis née dans un camp de réfugiés palestiniens. C’est un statut assez particulier car il y a à la fois celui des personnes apatrides et celui des exilés qui ont une revendication politique, celle du droit au retour. C’est pour ces raisons que j’ai étudié le droit international, et c’est ce qui m’a amenée à fonder l’Observatoire des camps de réfugiés.

À quand remonte votre premier engagement ?

J’ai une identité extrêmement politisée. Quand on naît palestinien, on naît politisé, j’ai toujours été engagée.

Comment votre expérience personnelle en tant qu’apatride a-t-elle influencé votre construction, à la fois personnelle et professionnelle ?

Il y a une dimension de survie chez les apatrides, une double exclusion en termes de statut et de lieu. Je dis souvent que lorsque l’on vient des camps palestiniens, on vient de nulle part. Le camp ne nous situe nulle part. Il y a une forme d’instinct de survie pour se réinsérer dans le monde et clamer son besoin de réexister, c’est-à-dire réinsérer le Palestinien comme un citoyen du monde qui a le droit d’exister.

Est-ce difficile en France d’être apatride ? Comment vit-on avec ce sentiment de n’appartenir à nulle part ?

J’ai été apatride jusqu’à mes 18 ans. La première fois que j’ai acquis une nationalité, c’était à cet âge, et c’était la nationalité française. La plus grande des exclusions est de ne pas pouvoir bénéficier d’une citoyenneté. Quand vous êtes citoyen, il y a une reconnaissance de vos droits. Le citoyen se battra pour l’application de ces droits, mais l’apatride se bat d’abord pour avoir une reconnaissance de ses droits, on part de plus loin.

Vous en avez souffert ?

Oui, bien sûr, les camps et l’exil de ma famille, c’est la plaie de ma vie.

Pourquoi avez-vous évolué aujourd’hui vers l’engagement politique, et qu’espérez-vous accomplir ?

Le souci de l’efficacité face à une urgence. Lorsqu’il y a eu les événements du 7 octobre, j’étais au Liban et je m’apprêtais à prendre un poste très confortable chez Amnesty International, c’était mon rêve. J’ai refusé ce poste pour donner de l’espace à la cause palestinienne. La riposte israélienne a posé un cadre d’une violence inouïe. Je me suis posé une seule question : quelle est ma responsabilité ? Ça s’est concrétisé par cet engagement politique. Je crois que je n’aurais pas pu me regarder dans une glace si je n’avais pas fait tout ce qui est en mon possible pour cette cause.

Croyez-vous-en la politique comme outil pour changer le monde ?

Bien sûr, je crois qu’il y a en Europe un tournant et une résonance dans la société même si la cause palestinienne a toujours été au cœur des débats. Il y a une question de responsabilité pour ceux qui ont les moyens d’agir.

Vous êtes en sixième position sur la liste de la France Insoumise pour les élections européennes. Avez-vous toujours soutenu Jean-Luc Mélenchon ?

Non, moi je viens de la société civile, je n’ai jamais milité dans un parti. Ma boussole, c’est celle du droit international, c’est la langue que je parle. La question que je me suis posée, c’est : quelle formation politique me donne la possibilité d’aller au bout de mes combats et il s’avère que c’est la France Insoumise.

Il semblerait que l’un des principaux sujets de la campagne de la France Insoumise aux élections européennes soit la cause palestinienne. 38 % des Français de confession musulmane se disent prêts à voter pour la liste de Manon Aubry. N’utilisez-vous pas la cause palestinienne à des fins de conquête du vote musulman ?

Non, c’est très mal connaître la cause palestinienne, et c’est une grosse erreur que de réduire l’adhésion au sujet palestinien à une question religieuse. C’est une cause qui a plus de résonance dans la mémoire coloniale que dans la dimension religieuse. Les personnes qui soutiennent la cause palestinienne sont attachées au droit international.

Vous avez été convoquée par la police, tout comme Mathilde Panot d’ailleurs, pour apologie du terrorisme. Refusez-vous ces accusations et pensez-vous que la justice est instrumentalisée ?

Il n’y a rien d’un point de vue légal qui tombe sous le coup de la loi dans mes déclarations. Il n’y a aucune explication logique à cette convocation pour apologie du terrorisme. L’apologie du terrorisme, c’est le fait de présenter sous un jour favorable une action terroriste, et ce n’est pas mon cas.

Comprenez-vous quand certains parlent des indignations à géométrie variable à la France Insoumise ?

C’est un faux débat, il y a juste besoin d’un rééquilibrage sur le traitement du sujet palestinien. Sur l’Ukraine, il n’y a aucun débat, tout le monde est d’accord, il faut aider l’Ukraine et les soutiens financiers et militaires sont là. Il y a des divergences sur le niveau de soutien mais pas sur le soutien en tant que tel. À l’inverse, les Palestiniens n’ont pas d’État depuis 75 ans et demandent qu’on respecte le droit international, notamment depuis les accords d’Oslo qui n’ont jamais été respectés par Israël. Nous sommes aujourd’hui face à un risque de génocide, la Cour internationale va devoir statuer sur le fond et en Europe nous avons un discours extrêmement problématique : on valide la propagande israélienne et on essentialise les Palestiniens au Hamas. Ce que doivent comprendre les Israéliens, c’est qu’en sauvant les Palestiniens, on sauve aussi les Israéliens, il faut sauver Israël de son colonialisme.

Vous ne remettez pas en cause la légitimité d’Israël à exister ?

Non, c’est une caricature. Israël est un État qui est reconnu par la communauté internationale. Israël n’est pas menacé, c’est l’un des pays les plus soutenus dans la région et a les plus grands alliés à l’échelle internationale. Le sujet politique qui est aujourd’hui menacé, c’est le sujet palestinien.

Et la France, qu’est-ce que vous évoque la France, ça représente quoi pour vous ?

La France, c’est mon pays d’accueil, c’est le premier pays qui m’a reconnu cette citoyenneté. C’est le pays qui fait de moi quelqu’un qui a un pied en Orient et un pied en Occident. Je crois qu’aimer la France, c’est précisément la critiquer, c’est comme avec vos proches : si vous les aimez, vous êtes capable de leur dire ce qui ne va pas chez eux. Je considère que la France s’honorerait à porter cette voix-là sur la question palestinienne, elle l’a fait par le passé sur la guerre en Irak par exemple. La France est un pays dans lequel j’inscris mon militantisme.

Parmi les nombreuses causes que LFI dit porter, il y a l’antiracisme. Pensez-vous que la France est un pays raciste ?

La France est un pays dans lequel il reste des problèmes de racisme qui correspondent à son passé colonial et aux restes du colonialisme. La France n’a pas tout résolu dans son histoire coloniale, nous n’avons pas encore effectué ce travail de fond. Je ne dis pas que le pays est fondamentalement raciste mais il y a une dimension structurelle sur le sujet. On l’observe sur les violences policières et il y a une question de discrimination dans toutes les sphères de la société : logement, travail, etc.

Quelle est l’Union européenne que la France Insoumise veut ?

Nous voulons une Union européenne qui défende les intérêts des Français et notamment ceux qui sont les plus fragilisés. L’Union européenne doit cesser d’être un géant économique et un nain politique, ce que nous voulons c’est une Union européenne qui soit également un géant politique.

Soutenez-vous l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ?

Non, nous y sommes opposés et pour deux raisons majeures. Un État en guerre ne remplit pas tous les critères d’adhésion et le deuxième point est que cela créerait une concurrence déloyale notamment sur la question agricole. Notre responsabilité est de soutenir l’Ukraine jusqu’à ce qu’il y ait un processus de paix et ensuite nous analyserons éventuellement la situation.

Si vous êtes élue le 9 juin, quelle députée européenne serez-vous et quelles seront vos priorités ?

Je rejoindrai la commission des affaires étrangères et la sous-commission dédiée aux droits humains. Avec 30 % d’échanges commerciaux, dont beaucoup viennent des territoires occupés et colonisés, l’Union européenne est le premier partenaire commercial d’Israël. Je me battrai pour la fin de l’accord d’association UE-Israël. Mais je ferai tout pour obtenir l’embargo sur les armes et évidemment la reconnaissance de l’État palestinien.

Vous semblez en France être l’une des rares listes à ne voir aucun problème lié à l’immigration en France et même à l’échelle européenne. N’y a-t-il aujourd’hui aucun problème ?

Il y a une bataille de narratifs dans laquelle nous ne voulons pas nous inscrire avec l’extrême droite. Nous ne sommes pas dans une crise de migration, nous sommes dans une crise de l’accueil. Il y a aujourd’hui 3,5 % de la population mondiale qui est en situation de migration et c’est une donnée constante. Les principaux flux migratoires sont des flux sud-sud, ceux qui arrivent en Europe sont seulement une minuscule part. Nous plaidons pour un accueil digne et humain et pour que l’Union européenne prenne sa part en matière de solidarité, nous ne pouvons pas endiguer l’immigration, nous devons composer avec.

Votre campagne peine à décoller, Raphaël Glucksmann (tête de liste Place Publique-PS) semble avoir pris le lead à gauche. Ne craignez-vous pas de faire moins de 5 % ?

Sûrement pas, j’ai peur de peu de choses et je ne me pose que très peu de questions sur les projections. Je mène cette campagne avec dévouement et sincérité, nous ne nous fixons pas d’objectif, l’idée est de nous battre pour les sujets que l’on porte et de compter sur les Français le 9 juin prochain pour nous soutenir.

Tous les partis de la NUPES sont en ordre de marche dispersé pour les élections européennes, la NUPES est donc morte ?

Je rappelle que la France Insoumise a plaidé pour qu’il y ait une union de la gauche pour ces élections européennes. Manon Aubry était même prête à céder la tête de la liste au PS ou aux Verts, ils ont refusé en considérant qu’ils avaient un enjeu électoral très important pour eux. Les Verts sont aujourd’hui en train de s’écrouler, on n’est même pas sûr qu’ils feront 5 %. La désunion de la NUPES n’est donc pas de notre responsabilité, on proposait simplement le programme européen de la NUPES.

Propos recueillis par Radouan Kourak