Clarisse Agbégnénou : « Petite, Je n’aimais pas l’école, et je disais tout le temps : un jour, Je serai championne de judo! »

03 mai, 2024 / Jerome Goulon

Alors que les Jeux Olympiques de Paris 2024 approchent à grands pas, Clarisse Agbégnénou est l’une des plus grandes chances françaises de médailles. Déjà six fois championne du monde et deux fois championne olympique, la star du judo défendra son titre à Paris. Avec une particularité : celle d’être devenue la maman d’une petite Athéna en juin 2022. Pour Entrevue, Clarisse nous confie comment elle parvient à concilier la vie de mère et celle de sportive de haut niveau…

Entrevue : Bonjour Clarisse. Vous avez l’un des plus beaux palmarès du judo français. Pourtant, vous êtes née de façon prématurée, ce qui vous a valu de nombreux problèmes de santé étant bébé. Les prémas ont-ils moins de chance de devenir de grands sportifs ? 
Clarisse AgbÉgnÉnou : Aujourd’hui, je dirais non. La preuve avec moi ! Je ne me suis jamais dit que j’étais plus faible ou moins forte que d’autres filles. Après, je tombais souvent malade, car j’avais un terrain plus favorable à ça. Mais j’ai toujours eu un gros caractère, et j’étais bien solide, contrairement à ce que l’on peut penser. 

Est-ce que très tôt, vous aviez cette ambition de devenir une légende du judo ?  
Petite, je n’aimais pas l’école, et je disais tout le temps : « Je serai championne de judo ! » Alors que je ne savais même pas ce que c’était une championne de judo ! Mais je n’avais que cette phrase à la bouche. Et Nadia, qui est aujourd’hui ma manager et qui à l’époque m’aidait en maths, me répondait : « Non mais Clarisse, ça n’existe pas, on ne gagne pas d’argent en faisant ça, donc va travailler et suis tes cours à l’école ! » Et je lui disais : « Non, moi je veux être championne de judo ! »

Et plus jeune, vous pensiez pouvoir vivre du judo  ?
Je me disais que je ferais tout pour être une championne, et donc en vivre. Mais à l’époque, ça n’était pas possible en effet, ça n’existait pas. Aujourd’hui, ça a bien évolué, mais  c’est vrai que pour une femme, il est clair qu’il faut être la meilleure, sinon c’est très difficile.

Dans ce milieu-là, on est plus pénalisée quand on est une femme ? 
Oui, et d’autant plus quand on est une femme typée. Pour les femmes de couleur ou les maghrébines, je pense que c’est un peu plus compliqué. 

Est-ce que vous vous sentez féministe ? 
Oui, dans le sens où je suis pour des valeurs qu’on ne met pas assez en avant. 

Lesquelles ?
Par exemple, quand il y a une fille qui est championne du monde, elle est championne, point. En fait, c’est un humain qui est champion. On regarde trop le sexe, et il faut parler d’une victoire parce que c’est la victoire d’un être humain, et pas en parler plus ou moins parce que c’est celle d’un homme ou celle d’une femme… Sur ça, on va dire que oui, j’ai ma part de féminisme. 

Avez-vous eu à vous servir du judo pour vous sortir d’une agression ? 
Non. Je ne me suis jamais fait agresser. Je sais que quand j’étais plus jeune, en primaire, je ne l’ai pas fait exprès, mais je me suis battue avec un garçon qui était le plus fort de l’école. J’ai fait une prise de judo, c’est ce qui m’est venu naturellement ! Je m’étais fait bien disputer, mais en même temps les gens se sont dit : « Wahou, elle a réussi face à cette personne-là ». C’était assez impressionnant. Mais sinon, en situation de conflit, je préfère me défendre avant tout par le dialogue. 

Pensez-vous que toutes les femmes devraient apprendre à se défendre en cas d’agression dans la rue ? 
Je pense que c’est important. Chaque femme devrait apprendre à se défendre. On ne dit pas qu’on va se servir des techniques que l’on apprend, et on ne s’en servira peut-être jamais, mais c’est quand même important d’être préparée dès le plus jeune âge : apprendre des codes, des techniques, avoir un numéro d’appel d’urgence ou un système avec petit bouton, si on est paralysée et que l’on se sent menacée, qui ferait alarme et pourrait dissuader un agresseur. 

Les JO arrivent à grands pas. Comment les appréhendez-vous ? 
Pour l’instant, ça va. Je n’y pense pas tous les jours. Ça va arriver bien évidemment. Je continue à faire les autres compétitions, je m’entraîne, je me jauge. J’évalue comment je me sens au jour le jour, ce que je dois travailler encore. Maintenant, j’ai Athéna, ma fille, et c’est vrai que les jours sont différents et passent très vite, mais c’est elle ma priorité aussi. 

En tant que citoyenne, quel est votre avis sur la gestion de cet événement ? 
Je dirais que j’ai hâte. Pour certaines choses, je me suis dit qu’ils auraient pu nous en parler, voir avec nous, les athlètes… Les places sont très chères, et on ne peut même pas commander ce que l’on veut… Je trouve ça dommage. En tout cas, les sites des compétitions vont être magnifiques, ça va être très beau, donc tout le monde a hâte d’y être. Les jeux seront à Paris et c’est… magique. Il y aura cette magie de Paris. Après, c’est dommage que ça ne soit pas accessible à tous. Les prix sont exorbitants si on veut y aller en famille. C’est un budget de vacances. 

Avez-vous une adversaire que vous redoutez particulièrement ?
Non. Je dirais qu’il faut redouter tout le monde. Tout le monde sera dangereux et il faudra que je sois concentrée du début à la fin. On sait que durant les Jeux, c’est souvent ceux qui sont les favoris qui sont le plus visés,  donc qui ont le plus de stress et qui peuvent tomber plus rapidement. Il faut vraiment faire attention dès le début. 

Y a-t-il une anecdote drôle qui vous a marquée lors d’un combat ? 
Oui ! ( Rires ) Je devais avoir 12 ans… Je tenais ma partenaire au sol, et je la tenais tellement fort que je lui ai pété dessus. ( Rires ) C’était gênant, je m’en souviens bien ! En plus elle a dit tout fort : « Ah mais elle m’a pété dessus ! ». J’étais désolée… Mais je ne l’ai pas lâchée. Donc elle est restée avec moi, dans mon pet, comme ça, la pauvre… 

On vous voit régulièrement dans des spots de pub à la télévision. Comment choisissez-vous vos partenaires ?
Je suis en effet pas mal sollicitée. Pour les choix de partenaires, il faut que ça m’anime, que ça me touche. Si je ne sais pas comment parler d’un partenaire, ce n’est pas possible, je ne vais pas mentir, parce que je suis authentique, et mes partenariats sont vraiment autour de valeurs communes qui font que l’on se retrouve au final, un peu comme une famille. 

Vous publiez un livre, Maman et sportive : préserver son corps et retrouver sa forme après bébé. Que pouvez-vous nous en dire ? 
C’est un livre qui s’adresse vraiment à toutes les mamans. Non sportives, sportives, pour retrouver un bien-être au plus profond. C’est vraiment la quête d’un bien-être au quotidien.

Comment avez-vous géré la grossesse et les contraintes des entraînements ? Est-ce que vous avez tout stoppé ?
Alors, non, je n’ai pas tout stoppé. Au début de la grossesse, j’étais très fatiguée, avec un état un peu nauséeux, donc je n’en ai pas trop fait. Mais ensuite, j’ai pu faire du sport jusqu’à deux jours avant mon accouchement. J’avais un programme adapté. Chaque mois, on faisait un état des lieux avec la gynécologue, le préparateur physique, le médecin et les entraîneurs. J’ai pu continuer à faire du sport tout au long de ma grossesse. 

Aujourd’hui, est-ce que vous sentez que votre grossesse a eu un impact positif ou négatif sur votre niveau ? 
Moi, je dirais que ça n’a eu un impact que positif ! Je me sens tellement accomplie, tellement joyeuse. Je suis tellement bien dans ma tête que rien ne peut mal aller… Je suis fière d’avoir ma fille Athéna, d’en profiter, de pouvoir allaiter, de revenir dans mon sport même si ça a été difficile et que je ne suis pas la même sportive qu’avant. Mais je fais avec les armes que j’ai maintenant, et mon bonheur passe avant tout. Je me sens tellement bien que même si c’est difficile, j’avance et je suis contente. 

On imagine à quel point la vie de jeune maman est épuisante et doit avoir un impact sur votre quotidien de sportive de haut niveau…
Oui, surtout avec les réveils nocturnes ! ( Rires ) Plusieurs fois, j’ai dit aux entraîneurs que je ne me sentais pas très bien ou fatiguée. Mais je me suis organisée petit à petit en prenant en compte ma fille et ses besoins pour téter. Ça décalait parfois les entraînements. C’était nouveau pour tout le monde, mais tout le monde était à mon écoute. Quand c’est nouveau, ça fait peur ! J’emmène souvent Athéna avec moi, et tout se passe très bien. Elle a déjà fait beaucoup de pays, beaucoup de voyages, et je vois qu’elle en redemande ! 

Votre livre s’adresse à toutes les mamans, et vous en êtes une. Quel est selon vous le stigmate le plus virulent sur les mamans ? 
Je dirais qu’il y en a plusieurs. C’est des choses comme : « Tu vas être très fatiguée », « Tu n’arriveras pas à faire ci, tu n’arriveras pas à faire ça », alors que si on a le bon entourage, on est encore plus forte. Ce que l’on arrive à accepter, même dans ces moments de fatigue et de reconstruction, c’est incroyable. Juste avec un tout petit peu d’aide, on survole, on est juste incroyables. Nous, les mamans, on est des super-women ! 

Qu’auriez-vous envie de dire à une jeune maman un peu déboussolée par tous les changements qu’elle rencontre depuis la naissance de son enfant ? 
Je lui dirais que oui, ce n’est pas facile. Je m’adresse à elle : il y a des moments qui seront plus durs, d’autres où tu seras très fatiguée, donc forcément en colère contre les gens ou ton bébé. Tu auras aussi un bouleversement hormonal compliqué à gérer, mais profite de ce moment, parce qu’il passe très vite. Il faut visualiser le positif. Oui, tu es fatiguée, mais tu te lèves quand même. Ton enfant grandit, tu lui souris, il te sourit. Moi, j’ai pris le positif. Et malgré les moments de fatigue, le sourire de son bébé, c’est déjà un petit bonheur. Et il faut le prendre, il faut le saisir. 

Vous-même avez été un bébé prématuré. Vous accompagnez les parents d’enfants né prématurés avec l’association SOS Préma… C’est important pour vous ?
Oui. Il faut aider ces parents-là, car ils ne savent pas si leur bébé va vivre ou mourir. Ce sont des allers-retours à l’hôpital. Se dire que tu es une maman, c’est un moment qui est génial. Et même les mamans qui ont perdu des enfants sont des mamans quand même. Elles sont et elles seront mamans. 

Pour finir, quel conseil donneriez-vous aux jeunes mamans ?
Le conseil que je pourrais donner, c’est : ne prenez pas de conseils ! Faites selon vos ressentis. Écoutez-vous. Nous, on n’a pas votre ressenti. Si vous avez besoin, posez des questions, vous aurez des réponses, mais en fait, chacun est différent, chaque parent est différent, chaque enfant est différent, et vous êtes la seule personne à pouvoir répondre à vos besoins… 

Interview réalisée par Marie Giancani