CANNES 2024 – Emma Stone: « J’ai dû demander à mes partenaires masculins à l’écran de diminuer leur cachet pour qu’on soit à égalité. »

19 mai, 2024 / Jerome Goulon

Emma Stone a reçu l’Oscar 2024 dans la catégorie meilleure actrice pour son rôle de Bella Baxter dans le film Pauvres Créatures, du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, présenté cette année à Cannes en compétition. Un long-métrage à mi-chemin entre comédie, drame, romance et science-fiction totalement imperméable aux préjugés de l’époque. Une ode au féminisme, même si certaines critiques ne l’ont pas vu de cet œil. Emma Stone leur répond dans cette interview ! 

Entrevue : Bonjour Emma. Dans ton nouveau film, tu incarnes une femme victorienne ramenée à la vie, imperméable aux préjugés de l’époque et résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité. Au début du film, on greffe à ton personnage un cerveau de bébé. À ce qui paraît, le tournage a été très sport pour te permettre d’entrer dans ton rôle…
Emma Stone : Oui, je ne sais pas si c’est très intéressant de parler du tournage ! (Rires) Avant de commencer à tourner le film, il y a eu une période de préparation et de transformation pour tous les acteurs qui a duré trois semaines, afin que l’on entre dans la peau de notre personnage. Le réalisateur nous a fait faire beaucoup d’exercices. Il y a eu beaucoup de physicalité et d’interactions entre les acteurs. Certains moments étaient embarrassants. C’était à la fois idiot et drôle ! (Rires)

Le film a été récompensé aux Oscars dans la catégorie «meilleurs costumes». Pas trop difficile de porter une robe de l’époque victorienne ?
La costumière, Holly Waddington, m’a fait faire des essayages pendant deux heures chaque jour du tournage ! Le film a vraiment demandé beaucoup de travail, car Yorgos Lanthimos (le réalisateur, Ndlr.) disait qu’il voulait faire un long-métrage qui ne ressemblait en rien à ce qu’il avait fait auparavant. On a passé des journées entières à faire des exercices pour entrer dans la peau de nos personnages…

Tu joues dans ce film un personnage particulièrement complexe, puisque tu incarnes une femme-enfant qu’on a ramenée à la vie, qui doit absolument tout découvrir du monde. Un vrai mélange de comédie, de drame, de romance et de science-fiction…
Oui, durant le tournage, c’était mon travail de délimiter toutes les étapes de l’évolution de Bella (l’héroïne du film, Ndlr.) J’ai bien aimé travailler avec Yorgos, car je n’aime pas intellectualiser les personnages que je joue, et c’est ce qu’il recherchait. 

Le film a été perçu par certains comme un « Frankenstein féministe ». C’est justifié selon toi ?
Oui. Il y a une p art de science-fiction, et aussi beaucoup de scènes de sexe. Mais ce n’est pas du sexe pour du sexe. Ces scènes illustrent la nature sans entrave de mon personnage, Bella. Le scénariste du film, Tony McNamara, voulait faire une satire du point de vue que les hommes ont sur les femmes, en dénonçant la soumission des femmes et la façon dont les hommes pensent que les femmes sont là pour les servir. Le caractère très libéré de Bella est donc résolument une ode au féminisme. C’est la femme qui prend le pouvoir en faisant fi de toute contrainte morale ou sociale ! 

Tu as été récompensée aux Oscars dans la catégorie meilleure actrice pour ce film. Tu avais obtenu un Oscar pour La La Land, en 2017. Quand on a déjà été récompensée, on vit ça avec moins de stress ?
J’ai essayé de prendre ça aussi légèrement que possible, parce que si j’y pense trop, j’entre dans une spirale d’anxiété complète. Mon cerveau part dans tous les sens…

Certains ont été très critiques sur le film, jugeant qu’il était sexiste, que la nudité était une forme d’exploitation, et que ton personnage ayant le cerveau d’un enfant, cela posait des problèmes de consentement sur les scènes de sexe. Comment réagis-tu à cela ?
Si cela peut remettre les choses au point, de mon côté, en tant qu’actrice ayant interprété ce rôle, je n’ai jamais perçu mon personnage comme un enfant. Dans aucune des scènes ! 

Ça t’énerve, ces critiques sur le film ?
Les critiques sur le film, c’est le produit inévitable de la génération actuelle. Notre époque vit dans la culture de l’instant. La culture est consommée et digérée à grande vitesse : les films sont aimés puis détestés en même temps à une vitesse vertigineuse, surtout sur les réseaux sociaux… Ma mère compare cela à une relation amoureuse, où au début, on pardonne tout à l’autre, avant de rapidement plus rien tolérer de lui.. Cela peut aussi arriver dans une relation avec le cinéma, surtout avec un film comme celui-ci, qui pose plus de questions qu’il ne donne de réponses. Je connais des gens qui ont vu le film et pensent que c’est la comédie romantique la plus douce qu’ils aient jamais vue, et d’autres qui ont dû le regarder en se mettant les doigts devant les yeux et en se bouchant le nez. Mais c’est ça que je trouve génial ! Je pense que les gens perçoivent ce film différemment selon qui ils sont et selon leur vécu… Mais c’est là tout l’intérêt je trouve. 

Pourquoi ?
Il y a une chose rare dans la culture contemporaine, c’est l’ambiguïté. Le film joue avec l’écart entre le féminisme et l’anti-féminisme, entre l’hilarant et l’effrayant, entre le coup de talon en avant et le coup de pied en arrière. Et je trouve que c’est ce qui fait sa force…

Pour finir sur le féminisme, tu es sensible à l’égalité entre les hommes et les femmes à Hollywood ? En 2017, dans le film La Bataille des Sexes, tu avais interprété Billie Jean King, numéro une mondiale du tennis dans les années 1970, qui s’est battue toute sa vie pour l’égalité hommes-femmes… 
Oui, bien sûr. Billie Jean King était une femme fascinante. Elle se battait déjà pour l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Elle était en avance sur son temps… Au cours de ma carrière, j’ai dû demander à mes partenaires masculins à l’écran de diminuer leur cachet pour qu’on soit à égalité. Hommes et femmes, nous sommes tous égaux. Nous méritons le même respect et les mêmes droits !