Aton, ex-membre du GIGN : « Au GIGN, je n’ai pas été blessé que physiquement,  j’ai aussi été marqué psychologiquement. »

03 mars, 2024 / Jerome Goulon

Philippe B, alias Aton, a été pendant 15 ans membre du GIGN. Aujourd’hui reconverti acteur et auteur, il publie son nouveau livre, Se préparer au pire !, aux éditions Albin Michel, dans lequel il donne des conseils pour se défendre face à l’augmentation de l’insécurité. Nous l’avons interviewé à cette occasion. Un témoignage saisissant…

Entrevue : À quel âge saviez-vous que vous vouliez entrer au GIGN ?
Aton : À 16 ans, quand j’ai été témoin de l’opération du GIGN à Marseille Marignane sur l’avion Air France, le 26 décembre 1994. Ça a été la première opération vraiment filmée par les médias. Ça m’a fasciné. À la base, je voulais être acteur et là, ça a suscité une vocation. 

Comment intègre-t-on le GIGN ? 
Il faut faire un certain nombre d’années dans la gendarmerie et être âgé d’au moins 25 ans. Ensuite, il faut formuler une demande pour présenter les tests d’entrée au GIGN. On a une semaine de test où on est évalué physiquement, sur nos phobies par exemple, comme la peur du vide, ou comment on se comporte avec le gaz lacrymogène. On a beaucoup d’entretiens, du sport de combat, de la gestion du stress, des tests physiques et psychologiques. Après cette semaine, où plus de 80% des gendarmes échouent, il n’y a plus de deux mois de pré-stage où l’on est évalué à outrance aussi bien physiquement que psychologiquement. Et là, si on réussit ça, on part sur une formation de plus d’un an. 

Qu’est-ce qu’on apprend à  l’école du GIGN ? 
On apprend à tirer, se déplacer rapidement en voiture et en moto. On manipule les explosifs, on fait du saut en parachute, de la plongée. On apprend aussi à entrer dans tout type de bâtiments, de l’avion au bus. Et après, on fait aussi du tir longue distance.

Quelles sont les principales qualités exigées?
Le sens de l’engagement, la disponibilité, le courage et la discipline. 

Que diriez-vous à quelqu’un qui veut en faire son métier ? 
D’être sûr de lui ( Rires ). De bien évaluer l’objectif, de bien se renseigner sur ce qu’est le métier. En lisant des livres, en regardant des reportages, en posant des questions à des opérationnels accessibles. Moi par exemple je le suis sur les réseaux sociaux et je réponds quand je peux répondre. Mais vraiment, de bien étudier afin de connaître les avantages et les inconvénients du métier. C’est vraiment une vie. C’est un choix pour soi et pour la famille.

On est agent secret quand on appartient au GIGN ? 
Non. Pas du tout, on est juste agent discret. ( Rires ) En fait on ne montre pas nos visages parce que l’on a connu une sorte de fatwa suite à l’intervention à Marignane en 1994, donc il y a une menace djihadiste sur le GIGN et depuis, elle n’a pas été levée. Donc on préserve l’anonymat du GIGN.

Quelles sont vos principales missions au quotidien ?
Nos missions, c’est l’antiterrorisme et le contre-terrorisme sur le territoire français. On fait aussi de l’interpellation dans le grand banditisme et des interpellations d’individus dangereux, comme des forcenés, des gens qui pètent les plombs et qui vont tirer dans la rue ou chez eux. On intervient aussi sur les go fast, les trafiques de stupéfiants à grande échelle. Ce sont des interventions très techniques et que l’on peut faire sur autoroute à grande vitesse. Ça nécessite une grande maîtrise au niveau de la conduite et de la technique pour intercepter des voitures qui vont à plus de 200km/h. Ensuite, ça peut-être des interpellations dans le cadre d’enquêtes judiciaires de têtes de réseaux. Il y a d’autres missions aussi comme la protection des ambassades sensibles dans lesquelles les intérêts français sont menacés. Il y a aussi tout ce qui va être recherche de renseignements, filatures, puis la protection rapprochée du président. 

Il y a une mission qui vous a marqué plus que d’autres ?
On me pose souvent cette question. Beaucoup de choses m’ont marqué. La protection des ambassades sensibles, l’évacuation de ressortissants en Libye en 2014, les frères Kouachi en 2015… J’ai été aussi au Kosovo aussi pour interpellation de criminels de guerre. J’ai été à Bagdad, en protection rapprochée, j’ai fait de la formation au Liban, en Jordanie et aux Émirats arabes unis. Si je devais en citer une, ce serait peut-être l’intervention sur la prise d’otage du voilier Ponant, en 2008. Sinon, je pourrais surtout vous dire que ce qui m’a le plus touché, c’est d’avoir été confronté à la misère et à la détresse humaine dans le monde entier. Au GIGN, je n’ai pas été blessé que physiquement, j’ai aussi été marqué psychologiquement. On ne sort pas indemne de tout ça, mais j’en ressors malgré tout grandi.

Avez-vous eu peur pour votre vie ? 
Oui, plusieurs fois. 

Tuer des gens, qu’est-ce que ça fait ? 
Ça fait mal. Tuer des gens, c’est un sacrifice que l’on fait, c’est un échec de l’humanité. Chaque cartouche tirée est un échec de l’humanité. Dans le sens où il y’a toujours une possibilité de l’éviter. Chaque cartouche que j’ai tiré, je n’en porte pas seul la responsabilité. Toutes les personnes qui ont croisé un jour le chemin de ceux qui se font tuer par le GIGN, et qui n’ont pas fait leur travail, que ce soit les services sociaux, les parents ou autres. La responsabilité de chaque personne tuée par le GIGN est partagée par toute la société. C’est comme ça que je vois les choses. Certains ne seront peut-être pas d’accord…

Quelle a été la raison profonde de votre engagement ? 
Le sentiment d’utilité. Mis à part ça et le cinéma, je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre. Je voulais donner un sens à ma vie.

Comment on gère sa vie de famille quand on est membre du GIGN ?
La clé, c’est la communication, se mettre à la portée de l’autre. Quand on a sauvé une vie, qu’on a libéré des otages, il ne faut pas se mettre au-dessus de sa femme et dévaloriser ce qu’elle fait.

Ça arrive souvent ?
Certains se sont perdus. Ils se sont dit que leur métier était plus important que celui de leur femme, car qu’ils sauvaient des vies. Je pense qu’il faut trouver un équilibre. On emmène forcément du GIGN à la maison, car on est tout le temps en alerte. Il faut savoir trouver le juste milieu, ne pas trop la ramener, ne pas craquer. Il faut éviter de créer un fossé, susciter une écoute, un dialogue, mais sans que ça pollue le couple. Ce n’est pas évident…

Mais peut-on quand même avoir une vie de famille ? 
C’est difficile. On peut partir à tout moment en pleine nuit. On sait quand on part, mais on ne sait jamais quand on revient. Il faut avoir une famille soudée et une femme forte, parce qu’elle peut très vite en avoir marre. Le charme, le côté exotique d’être avec un membre du GIGN, ça passe vite… 

Votre compagne était au courant de vos missions ? 
Pas toujours. Par contre, elle connaissait le niveau de risque en fonction de mon poste. Si j’étais en première colonne, je lui disais que c’était plus tendu, et quand j’étais sur une autre mission, même si il n’y a pas de petites missions, je lui disais de ne pas se faire de soucis. 

J’imagine que les membres du GIGN ne peuvent pas parler leurs missions à leurs épouses ? 
Non, on ne peut pas dire ce que l’on fait. Je vais prendre un exemple : certains savent déjà les postes qu’ils auront pour les JO 2024. Ils savent à peu près ce qu’ils vont faire, mais  ils ne peuvent pas en parler à leurs épouses. Pareil pour les go fast, on ne dit rien. On sait qu’on va partir pour plusieurs jours, mais pas combien de temps, donc on ne peut rien dire.

Parlons argent. Combien gagne un membre du GIGN ? 
J’ai commencé à 2  400 € et j’ai terminé, sur les six derniers mois, à 3  500 €. Et on prend sa retraite vers 42 ou 43 ans, car c’est très fatigant. 

Quelle est votre vision de la société aujourd’hui ? 
Je suis assez déçu, mais c’est personnel. J’ai eu pour vocation de combattre le terrorisme, de faire en sorte que tout ce qui se passait à l’étranger n’arrive pas en France. Mais entre le moment où je suis rentré au GIGN et le moment où je l’ai quitté, l’insécurité a explosé. On a plus d’actes terroristes, on a plus de délinquance. Je voulais vraiment que mes enfants soient préservés. Tous ces sacrifices que j’ai pu faire, avec mes collègues, j’espérais que ça permette à nos enfants de vivre dans un environnement un peu plus sécurisé. Malheureusement, c’est pas le cas… Les politiques parlent de sentiment d’insécurité, mais non, ce n’est pas qu’un sentiment ! On est de plus en plus confrontés à l’insécurité…

Quelle solution préconisez-vous ? Plus de sévérité ? 
Je ne pense pas que ce soit le rôle de la police de faire de l’éducation. La police fait de la répression. Je pense que les parents ont le premier rôle à jouer, ainsi que l’Éducation nationale. Personnellement, je suis favorable à un retour du service national pour les hommes et les femmes. Il faut quelque chose d’obligatoire et d’éprouvant. Au minimum six mois. 

Pensez-vous que les Français aiment leurs forces de l’ordre ? 
Malgré ce que l’on peut voir, ce que les politiques en font et ce que les médias disent, je pense sincèrement que oui ! En majorité, les Français respectent et aiment leurs forces de l’ordre. Ils comprennent qu’il y a des cons partout, mais qu’il ne faut pas non plus faire d’amalgame. Le métier est très compliqué en ce moment…

Pour terminer, vous parlez dans votre livre du moyen de se défendre soi-même lors d’une agression ou d’un cambriolage. On a souvent entendu des affaires où les personnes agressées chez elles avaient été condamnées pour s’être défendues. Chez soi, a-t-on le droit de se défendre ?
Oui, tout le monde a le droit de se défendre, mais il faut que ce soit dans le cadre de la légitime défense. Il y a un cadre légal. Ce que je conseille plutôt, dans le cas d’un cambriolage : tant que les bandits, potentiellement violents, ne l’ont pas été encore été, il faut laisser faire, et noter tous les détails. La façon de parler, l’accent. Ils ne s’attaquent pas en général à une seule maison, et ils pourront être retrouvés. En plus, ils laissent souvent des traces. Si sa vie est en danger et qu’il faut y aller, il faut être extrêmement déterminé, et ne pas avoir peur de faire mal. Si les gens viennent juste pour prendre des objets, il vaut mieux ne pas risquer sa vie.

Et dans la rue, avons-nous le droit de nous défendre ? 
Il faut que ça reste dans la proportionnalité. Si vous avez un couteau suisse sur vous et que l’on vous attaque avec un couteau : oui, vous êtes dans la proportionnalité. Après, c’est bon de s’intéresser au cadre légal et au cadre de la légitime défense. Dans le livre, c’est accessible et bien expliqué, à la différence des textes de lois, qui sont parfois un peu imbuvables. Ensuite, quand on se fait agresser, je dirais que le principal est de préserver sa vie et celle de ses proches. Il y a une phrase que j’aime bien : « Je préfère être jugé par douze que porté par six. » Et puis si je dois mettre tout en œuvre pour me protéger ou protéger des proches parce que je n’ai pas le choix et que je dois aller au tribunal, eh bien c’est ainsi. Après, quand on est agressé, on est en état de choc. C’est une circonstance atténuante. On se fait agresser, on n’a rien demandé, on réagit comme on peut et ça peut être de la surréaction. Dans ce cas-là, on peut dire qu’on ne s’y attendait pas et que l’on a tout donné. 

Quelles armes a-t-on le droit d’avoir chez soi ?
Sans permis de port d’arme, je crois que l’on peut avoir un pistolet qui envoie des balles en caoutchouc. C’est quand même relativement efficace. Le pistolet d’alarme peut de son côté faire illusion, mais si il ne marche pas, c’est bête. La bombe lacrymogène, c’est bien aussi. Et puis il y a la batte de baseball ! Quelqu’un qui veut vous agresser, s’il voit entre vos mains une batte de baseball, ça peut le dissuader. Sincèrement, tout peut-être détourné en arme. Faut-il encore y avoir pensé. Ce qu’il faut c’est changer de «mindset», se projeter dans une situation dans laquelle on n’a pas envie d’être et visualiser ce que l’on a à sa portée pour se défendre…

Interview réalisée par Marie Giancani