Alessandro Bertoldi : « Je suis très inquiet, car sans dialogue, nous nous dirigeons vers un conflit de plus en plus global. »

14 février, 2024 / Radouan Kourak

Malgré son jeune âge, Alessandro Bertoldi est un consultant reconnu en Italie. Des politiciens, entrepreneurs et organisations internationales ont recours à ses services. Fondateur du groupe de communication et de lobbying AB Group et président de l’Institut Milton Friedman, il a débuté sa carrière en côtoyant Silvia Berlusconi. Il nous parle de son parcours et sa vision du monde actuel …

Entrevue : Votre parcours politique a commencé à un très jeune âge, aux côtés de Silvio Berlusconi. Qu’est-ce qui vous a plu chez lui ?

Alessandro Bertoldi : Ma génération est née en voyant Silvio Berlusconi, une personnalité constamment présente dans la vie publique italienne, tout d’abord en tant qu’entrepreneur, éditeur et fondateur du plus important groupe de télévision italien, puis en tant qu’homme politique et Premier ministre, qui a eu la plus grande longévité de notre histoire républicaine. Au début, quand j’avais 14 ans, Berlusconi était pour moi un leader charismatique, sympathique et couronné de succès, il devenu par la suite également un point de référence personnel : c’était la personne qui voulait récompenser le mérite et défendre les libertés individuelles dans notre pays, se présentant comme un modèle libéral de réussite personnelle. J’étais plus encore passionné par sa personnalité unique que par sa politique.

Berlusconi a été probablement le plus grand homme d’affaires d’Italie, mais il a aussi été parfois très critiqué …

Oui. Il a été très critiqué pour sa personnalité particulière, car comme tous les grands, il était grand dans ses nombreuses qualités ainsi que dans ses défauts peu nombreux mais marqués.

Comment s’est passée votre première rencontre avec lui ?

J’ai eu la chance de le rencontrer grâce à mon amie, la Sénatrice Michaela Biancofiore, qui était très proche de lui et qui voulait nous présenter. À l’époque, j’étais déjà à la tête des étudiants du centre-droit. Un week-end de l’hiver 2012, elle m’a emmené à Arcore, devant les portes d’entrée de sa célèbre villa. J’étais sans voix. Le président nous a accueillis avec un large sourire. Il m’a fait visiter sa maison et une fois arrivés dans la salle à manger, Berlusconi m’a dit: « Tu vois Alessandro, c’est la fameuse salle des « Bunga bunga ! », et il a ri. À l’époque, on venait juste de l’accuser d’avoir organisé de nombreuses fêtes avec des escort-girls dans sa maison, mais comme il me l’avait dit, cette accusation s’est avérée diffamatoire et ces fêtes n’étaient rien de plus que des dîners dans lesquels les gens chantaient et dansaient. Dans les années qui ont suivi, j’ai assisté à plusieurs dîners amusants, où rien d’inhabituel ne s’est jamais produit. Avant de partir, le photographe nous a pris en photo, et le président a voulu me serrer dans une grande accolade. Quelques mois plus tard, cette photo a été publiée dans tous les journaux italiens, et à 18 ans, je suis devenu, par sa décision, le plus jeune dirigeant politique de l’histoire de l’Italie. Berlusconi m’a honoré de sa confiance à plusieurs reprises, il a été accueillant, affectueux et je n’oublierai jamais ce jour. Ses bonnes manières, son intelligence, sa vision, son élégance et sa générosité envers les autres étaient des qualités hors du commun, difficiles à trouver chez un homme aussi riche et puissant.

Comment avez-vous vécu son décès ?

Je l’ai très mal vécu. Il était devenu un point de référence pour tous, un père de la patrie. Je n’ai pas honte à le dire, j’ai pleuré ce jour-là et j’ai ressenti un grand vide. Lors de ses funérailles, j’ai ressenti l’amour que le peuple italien avait pour lui, le grand héritage que cet homme a laissé au pays, et je me suis senti plus apaisé.

Avec l’Institut Milton Friedman, vous menez aujourd’hui des batailles pour les libertés individuelles et économiques. Quels sont vos objectifs ?

L’Institut Friedman, que j’ai cofondé est une source de grande fierté pour moi. Nous sommes présents dans plus de 30 pays à travers le monde, et nous nous battons pour des valeurs communes: les libertés économiques et individuelles. En partant de la défense du droit à l’existence d’Israël, à la défense de la souveraineté de l’Ukraine, en passant par la lutte pour les droits du peuple iranien, ceux des femmes, sans oublier, en Occident, la bataille contre la fiscalité excessive qui afflige nos entreprises. Nous défendons également la protection fondamentale des droits civils. Notre objectif : devenir la plus grande «maison» des libéraux au monde.

Vous êtes engagé dans le dialogue pour la paix en Russie, en Ukraine et au Moyen-Orient depuis dix ans. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?

Sans liberté, il ne peut y avoir de développement humain dans les sociétés. Nous nous sommes engagés pour trouver une solution au conflit entre la Russie et l’Ukraine dès 2014, lorsque j’ai proposé le modèle d’autonomie du Tyrol du Sud comme solution au différend, un modèle qui est arrivé à la table des négociations à Minsk, qui a plu à tout le monde, mais qui ne s’est malheureusement pas concrétisé. Au Moyen-Orient, nous avons toujours porté une attention particulière au dialogue. La bataille pour la survie de l’État d’Israël qui était fondamentale pour nous, doit se faire dans le respect de la solution des deux États. Nous, Italiens, avions anticipé les pactes abrahamiques, en promouvant le dialogue entre les pays arabes et Israël. Mais maintenant qu’il n’y a plus de dirigeants comme Berlusconi, le dialogue n’est plus la priorité, la guerre est à nouveau la «solution». Je suis très inquiet, car sans dialogue, nous nous dirigeons vers un conflit de plus en plus global.

Comment les société italienne et européenne évoluent-t-elles aujourd’hui?

Malheureusement, même dans la société, les dialogues sont de moins en moins fréquents et les conflits se multiplient. Nous sommes enclins à moins réfléchir. Le principal changement est le manque d’intérêt pour les valeurs et les traditions culturelles. Sans identité claire, il est difficile d’avoir des repères dans la vie : la démocratie, les libertés individuelles, la méritocratie, les traditions, les langues, le respect des droits d’autrui et la valorisation de nos cultures sont aujourd’hui des valeurs trop souvent négligées.

Quel est votre prochain objectif ?

J’aimerais vraiment que notre réseau de professionnels et de libéraux puisse résoudre certains conflits, être médiateur pour pouvoir trouver des solutions pacifiques quelque part dans le monde. Ce résultat est un rêve concret et serait ma plus grande satisfaction personnelle pour moi et pour notre groupe d’amis engagés dans la paix et le dialogue. Il n’y a rien de plus important aujourd’hui que d’être protagonistes et défenseurs de la paix.